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Histoire, Patrimoine & Territoire d'Avenir




​34. Nos vieux bâtiments de ferme


Par Jean Pierre Rozier, ethnologue de la ruralité

​34. Nos vieux bâtiments de ferme
 Voyez-les, posés en désordre sur la carte de l’Artense, nos vieux bâtiments de ferme, imparables sentinelles ! De conception simple, rétifs à tout tralala d’architecture, ils étaient idéalement adaptés à l’élevage bovin de notre moyenne montagne.
 
Le principe des maisons-bloc, l’expression me va bien, peut s’énoncer ainsi : au ras du sol, des vaches et des hommes sur un même alignement, mais séparés par une cloison avec porte, et au-dessus, courant tout du long sous la magistrale charpente de bois à forte inclinaison recouverte d’ardoises, une ample grange pour le foin. Poursuivons : une entrée d’étable fichée au pignon de l’est, en autre extrémité l’habitation s’ouvrant sur le soleil du sud et une levade d’accès à la grange s’élevant en pente douce, en arrière, côté nord. Cela pour le modèle type car, une fois ces bases posées, que de variantes !
 
D’abord une dose d’histoire. Ces constructions ont été édifiées pour l’essentiel entre 1880 et 1910, en une phase agricole marquée à la fois par une forte progression de l’élevage bovin au détriment de l’élevage ovin, cela en lien avec l’essor fromager, et par un recul des cultures céréalières de subsistance.
 
Les bâtiments antérieurs se signalent par des étables aux plafonds écrasés, à peine à hauteur d’homme actuel, percées de fenêtres, les fenestrous, si petites que l’on dirait des meurtrières, ainsi que par des toits en tôle, en place du chaume initial. L’état de rouille du métal prouve que ce remplacement est intervenu voilà un bon moment, au plus tard le milieu du siècle passé.
 
Oui, partant du socle formulé en début de chronique, que d’agencements différents d’une ferme à l’autre, et c’est bien cela qui me passionne ! Ă chacun ses attraits : quand mes concitoyens s’entichent d’architecture romane ou florentine, moi je n’ai d’égard que pour les rustiques subtilités de notre bâti !
 
Nos villages sont généralement placés sur des versants sud, pour des raisons climatiques évidentes. Mais il suffit d’expositions offertes à la bise, ainsi en mon village natal, pour que, par obligation, les dispositions s’adaptent. Les levades de grange, faute d’édifications possibles sur les pans nord des maisons en raison de dénivelés accusés, s’affichent au sud, du même côté que l’habitat, ce qui casse la perspective d’ensemble.
 
Dans des fermes de quelque prestige, implantées fréquemment en altitude, se présentent deux yeux de levades. On en comprend l’utilité : lors des fenaisons, on entrait avec les vaches attelées au char par une porte et, après répartition du chargement de foin sur la couche entassée, on ressortait par l’autre, ce qui dispensait d’avoir à faire des demi-tours compliqués, surtout quand, au fur et à mesure de la montée de la récolte, l’espace se réduisait sous la charpente.
 
J’ai parlé d’entrée d’étable au levant, l’objectif étant d’éviter les désagréments des flux océaniques dominants… Cependant, pour des motifs touchant à l’accès au chemin ou à la route, on avait choisi parfois une ouverture sur le couchant : tant pis pour les engouffrements du vent, les griffures de la pluie, de la grêle et des flocons… De la croix sous le faîte du toit, pierres croisées ou culs de bouteilles assemblés, viendrait une protection ! Il en découlait un report de l’habitat en bout opposé, cheminée dressée en cime de pignon, cracheuse infatigable de fumée au ciel et guetteuse sourcilleuse de panorama alentour.   
 
Ces portes d’étables, en dire l’inextinguible poésie ! Composées de deux battants en planches grossières, avec un carré dit pourtané découpé sur l’un à hauteur de buste, elles permettaient d’ajuster, en fonction de leur degré d’ouverture, courants d’air et températures du dedans. Par grand froid, fermeture complète la nuit et simple pourtané ouvert le jour derrière lequel s’encadrait souvent le fruste portrait du maitre de céans, pieds au chaud, regard à l’affût et nez frotté à l’air vivifiant du dehors… Des battants mi ouverts par douceur hivernale et carrément repoussés au printemps, quand venaient les heures de lâcher les bêtes… Dès lors, au moment de la traite, afin de ne pas laisser s’échapper les veaux, on fermait la clide, c’est-à-dire la barrière ajourée actionnée de l’extérieur.
 
Certaines familles de meilleure aisance faisaient choix d’un habitat sur deux niveaux, l’étage du dessus empiétant sur une grange qui se devait de montrer un niveau rehaussé. Parfois encore, mais là on sort du cadre strict des maisons-blocs, les locaux humains étaient élevés séparément de ceux des bêtes, et l’étable pouvait alors proposer des ouvertures à ses deux pignons. De cette séparation, on tirait avantage du point de vue de l’hygiène, on s’épargnait les arômes corsés de fumier, mais il fallait endosser sa pelure pour rejoindre le troupeau, et que d’allers et retours ! Qui plus est, on perdait l’avantage décisif du cocon économe et protecteur où hommes et bêtes cohabitaient dans une ambiance chaleureuse.  
 
Ces bâtiments ne sont plus adaptés à l’agriculture présente. Des cubes immenses, tant en surface qu’en hauteur, sortent de terre pour le plus grand bonheur d’éleveurs ambitieux que ne rebutent point modernité et emprunts ! Reconnaissons que des poutres de bois clair s’y déploient à l’intérieur en des projections de belle prestance, cela en contraste avec les poses rudes des matériaux froids et peu écolos des stabulations de naguère… Reconnaissons encore qu’à l’extérieur les coloris automnaux des murs ne font pas trop injure aux paysages !
 
Les maisons-bloc traditionnelles, on en restaure les composantes habitats, on en recycle les parties agricoles déchues, à des fins de résidences principales, secondaires ou de locations de vacances. Les granges proposent de vastes espaces pour des chambres de type loft, les étables sont aménagées en salons cossus où l’on ne craint pas d’allonger ses jambes, ou en garages-ateliers-débarras… Les rénovations vont au gré des penchants des proprios, au fil des budgets : cantous restaurés, cloisons abattues, dalles de ciment coulées aux planchers des granges, agrandissement des fenestrous, vitres aux portes des levades, chiens assis posés sur le toit, découpe d’ouvertures aux pignons, vérandas…
 
Le passé à vau-l’eau, ça part dans tous les sens, et le bon goût ne répond pas toujours à l’appel ! Encore une génération ou deux et les habitants ne sauront plus quels étaient les usages premiers des murs qu’ils occupent !
 
                                                                                                                                Janvier 2025

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