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Les sociétés ont besoin de deux monnaies : une marchande internationale et une locale au service du Bien commun

Philippe Derruder, économiste franco canadien et auteur de nombreux ouvrages sur le sujet, propose une façon de - ré équilibrer le social, l'économique et l'écologique actuellement en conflit en s'appuyant sur deux systèmes monétaires complémentaires: un pour le échanges marchands internationaux et un local axé sur le bien commun: une solution pour assurer à la fois l'efficacité économique et le bien - être des communautés dasn le respect de ce que la planète peut soutenir.


Les sociétés ont besoin de deux monnaies : une marchande internationale et une locale au service du Bien commun
Un piège originel qui se referme aujourd’hui

Jean-Baptiste Say  et Adam Smith  ont profondément marqué la pensée économique classique sur laquelle repose toujours le modèle économique moderne. Or, les fondations de leur édifice ont été construites sur une erreur conceptuelle d’envergure que nous découvrons depuis peu à condition de vouloir regarder, ce qui malheureusement est loin d’être le cas. Cette erreur peut se résumer ainsi : « Les ressources naturelles sont infinies, la monnaie est rare ». Parler d’erreur est en fait bien sévère à leur égard car pour toute personne vivant au XVIIIe siècle cela ne pouvait être qu’une évidence.

La démographie était faible, les moyens de production très majoritairement artisanaux, l’énergie 100% renouvelable et la quantité des ressources telle, que tous les efforts conjugués n’auraient pu les épuiser. Quant à la monnaie, alors majoritairement constituée d’or et d’argent, elle ne pouvait qu’être rare,  car ces métaux précieux ne poussent pas sur les arbres, comme on aime encore à le rappeler de nos jours.

Mais les XIXe et XXe siècles sont passés par là : Découverte des énergies fossiles, révolution industrielle, production de masse, augmentation démographique mondiale estimée en 1800 à moins d’un milliard alors qu’elle a atteint les 8 milliards en 2023 et, cerise sur le gâteau, dématérialisation complète de la monnaie en 1971 provoquée par l’abandon de la convertibilité du dollar US en or.

Rappelons que jusque là et depuis les accords de Bretton Woods de juillet 1944, toutes les monnaies étaient appréciées par rapport au dollar qui, seul, assurait une convertibilité en or à hauteur de 355 l'once.

Même si les réserves en or étaient bien au chaud dans les coffres de Fort Knox ne couvraient pas la totalité des dollars en circulation, il n’en reste pas moins que toutes les monnaies étaient directement et indirectement reliées à ce métal qui leur conférait une rareté en raison de sa matérialité. Plus de convertibilité? Plus de matérialité et donc plus de limite; ce qui fut officiellement entériné lors du traité de Kingston (Jamaïque) en 1976. Le système de Bretton Woods qui s’appuyait sur un taux de change fixe fut abandonné pour passer à un système à taux de change libre fixé par la loi de l’offre et de la demande.

Ce qu’il est donc important de retenir c’est que, depuis lors, la monnaie n’existe plus en tant que « marchandise » ayant une existence et une valeur propres, mais en tant qu’unité virtuelle créée par la seule volonté humaine. Ainsi se referme le piège sur la réalité contemporaine; à l’inverse du postulat de départ, les ressources naturelles révèlent aujourd’hui leurs limites alors que la monnaie est devenue potentiellement infinie. Le principe de toute science est d’expérimenter un postulat et de le considérer comme juste jusqu’à ce que l’expérience mette en lumière sa limite ou son erreur. Ne serait-il pas temps d’appliquer ce principe?

Autre piège découlant du premier

La théorie économique classique enracinée dans la croyance de l’infinité des ressources va favoriser tout ce qui stimule la production. Encore une fois on peut l’admettre facilement dans la mesure où cette dernière peinait à satisfaire les seuls besoins essentiels. Jean-Baptiste Say, que je citais en introduction, affirmait que la production de biens crée sa propre demande par le fait qu’elle génère un revenu pour ceux qui y sont impliqués, ce qui leur permet ensuite d’acheter d'autres biens et services. Fondé sur la même idée de stimuler la production Adam Smith, quand à lui, imagine qu’en offrant aux individus la possibilité de poursuivre leurs propres intérêts, ils contribuent indirectement au bien-être de la société dans son ensemble par ruissellement.  

Certes, d’autres économistes par la suite ont remis en question ces théories, mais les fondamentaux étant ce qu’il sont, ils constituent encore les piliers sur lesquels reposent notre modèle. Ce n’est pas neutre car cela a conduit le système qui en découle à chercher uniquement la satisfaction de l’intérêt particulier.

Les services, la justice, l’enseignement, la santé,  bref ce que j’appellerai le « Bien commun » qui se caractérise par le fait qu’il regroupe des activités dont la finalité n’est pas le profit financier mais le bien-être de la société, n’ont pas été oubliés pour autant. Adam Smith, encore lui, partait du principe que toute personne ayant atteint un certain niveau de satiété, redistribuait naturellement ses surplus. Que ce soit naturel ou pas, c’est ce principe que le modèle économique a retenu, celui de la redistribution par le moyen de la fiscalité.

Ceci reste tout à fait cohérent dans un système où l’argent est matériel et donc rare. Les activités relevant de l’intérêt collectif, pour bénéfiques qu’elles soient, coûtent de l’argent, elles n’en rapportent pas. Il faut par conséquent aller le chercher là où il se trouve, autrement dit dans la poche de ceux qui en possèdent (entreprises, personnes individuelles).

Au XVIIIe siècle tout cela avait du sens et était pertinent, mais aujourd’hui? Toujours enfermés dans une notion de ressources naturelles infinies et de monnaie rare nous nous enfermons dans une logique de pompier incendiaire : Il faut stimuler la croissance pour espérer en tirer les revenus nécessaires à la satisfaction du Bien commun.

Mais qui dit croissance, dit toujours plus de production, toujours plus de consommation, donc toujours plus de prélèvements sur les ressources naturelles. Pour financer le bien-être espéré il n’y a donc pas d’autre moyen que de soutenir et développer  des activités reconnues comme étant la source de nos problèmes. Toutefois le système a plus d’un  tour dans son sac. Il a su créer deux dérivations, une financière, et une idéologique :
 
- La financière consiste à former un écran de fumée pour que la vérité ne s’affiche pas toute nue devant nos yeux; j’ai nommé : L’emprunt qui prend le relai quand la fiscalité s’essouffle. Ainsi trouve-t-on encore les moyens de repousser à plus tard l’heure de vérité. Pour ne mentionner que notre pays, en dépit d’un niveau de prélèvements obligatoires faisant partie des plus élevés, la  France a dépassé les 3000 milliards d’euros de dette publique . Il faut dire que les politiques monétaires accommodantes de la BCE depuis la crise des « subprime » ont facilité  l’endettement car les taux d’emprunt nuls, voire négatifs, faisaient qu’emprunter plus ne coûtaient pas plus cher. Mais toutes les bonnes choses ont une fin, n’est-ce pas, et depuis le relèvement des taux, ce qui hier passait inaperçu reste coincé au fond de la gorge. Bercy attend avec angoisse la décision des agences de notation qui doivent se prononcer en mai de cette année. Si la note baisse, l’emprunt coûtera encore plus cher. En route pour une mise sous tutelle comme ce fut le cas de la Grèce?

- L’idéologique : Dire que la question écologique qui inclue naturellement une saine gestion des ressources naturelles n’est pas prise en compte serait mentir. Mais, l’avez-vous remarqué, elle se focalise sur la dénonciation d’un seul ennemi : Le Co2. Telle Toinette disant à Argan dans le malade imaginaire que toutes les maladies dont il souffre ont pour seule cause « le poumon », la source de nos problèmes écologiques est réduite à un seul dénominateur commun : Le carbone! Il est connu qu’en communication de masse si l’on veut qu’une idée marque, il n’en faut retenir qu’une. Eh bien, c’est réussi car quiconque se hasarde à mettre en cause ce qui est ainsi devenu un « consensus scientifique » est traité de toutes sortes de noms d’oiseaux et ses propos censurés. Quitte à en faire partie je constate qu’en résumant la question au « méchant » Co2, les (fausses) solutions retenues ouvrent de gigantesques nouveaux marchés comme la voiture électrique, les éoliennes, les panneaux solaires, sans parler des différentes techniques de géo-ingénierie. Bref, il y a du bon beurre à se faire dans le monde des petits copains!

Si on avait pris le problème à partir de la nécessité première d’assurer une sécurité alimentaire saine au plus près des lieux habités en veillant à régénérer les sols, soit repenser toutes les pratiques de l’agro-alimentaire, les énormes intérêts privés liés aux marchés de l’agro-business et de la chimie n’auraient pas vu cela d’un bon œil. À noter au passage, pour ne pas rejeter d’un revers de main l’influence des émissions de gaz à effet de serre,  que repenser prioritairement la production agricole aurait permis de répondre non seulement à la question essentielle de l’alimentation, de la régénérescence des sols et de la gestion de l’eau, mais aussi, par l’assainissement ainsi apporté celle des émissions.

Bref, vous l’aurez compris, cet autre écran de fumée consiste à faire croire que le modèle économique peut tranquillement poursuivre sa route sur les mêmes fondations, à condition de peindre en vert ce qui était brun, histoire de masquer les lézardes dans le mur. D’ailleurs n’appelle-t-on pas cela « croissance verte » ou « développement durable »? Nous sommes à l’ère de la communication où le mot  est devenu l’art de faire de l’habit un moine. Vive la Novlangue! 

Parlons un peu de création monétaire

Je l’ai rappelé, nous sommes passés d’une monnaie matérielle à une monnaie totalement dématérialisée. N’ayant pas d’existence propre, il faut la créer.

Créer la monnaie semble pour beaucoup une chose étrange, tellement abstraite qu’elle dépasse l’entendement. Pourtant, “Le procédé par lequel les banques créent de l'argent est tellement simple que l'esprit en est dégoûté.” disait l’économiste américain JK Galbraith.

Quand autrefois il fallait creuser des trous dans la nature ou cribler les sables des rivières pour en extraire les métaux constitutifs des monnaies, aujourd’hui il faut simplement réaliser une opération comptable. C’est le système bancaire qui, seul,  a le privilège de réaliser cette opération lorsqu’un besoin de financement est exprimé dans la société par un individu, une entreprise, une municipalité, une collectivité, un État. Pour répondre à ce besoin le système bancaire utilise le crédit :

Imaginez que 10.000 euros vous soient nécessaires pour des travaux de rénovation. Votre banquier va examiner votre capacité à rembourser le crédit que vous lui demandez et si vous remplissez les conditions, il va vous les prêter; pas en allant puiser dans l’épargne constituée par d’autres comme on le croit souvent, mais simplement en inscrivant au passif de son bilan la somme de 10.000 euros qu’il vous doit, ainsi qu’à l’actif de son bilan puisque vous les lui devez. « Abracadabra! » Ainsi viennent d’apparaître dans la société 10.000 euros qui n’existaient pas auparavant .

Contrairement à la monnaie matérielle qui par nature est permanente, là on se trouve dans un système à monnaie temporaire qui n’existe qu’entre le moment où le crédit est consenti et celui où il est remboursé. Un système de création / destruction qui se traduit par un flux incessant où la masse monétaire à disposition de la société pour les opérations courantes correspond à la différence qui existe entre la monnaie créée et la monnaie détruite. Prenez ainsi conscience que si en cet instant toutes les dettes étaient remboursées, il n’y aurait plus un sou vaillant sur terre!

Considéré du point de vue de l’intérêt privé ce système est adapté à ses besoins par le fait qu’il permet, du moins en principe, un bon ajustement entre la quantité de monnaie émise et la valeur de la richesse produite .

Mais qu’en est-il  pour le collectif? L’intérêt lié au crédit réclamé à l’emprunteur n’est pas créé avec le montant du capital. Les 10.000 euros reçus dans mon exemple se transforment peut-être en... 12.000, 15.000, 20.000 à rembourser selon le taux accordé et la durée du crédit. L’emprunteur va devoir trouver ce complément d’une façon ou d’une autre. Mais oublions l’emprunteur et considérons les choses globalement.  Le mécanisme fait qu’il est demandé plus à la fin qu’il n’a été mis sur la table au départ. Où trouver la différence? Dans une logique de Ponzi  où les crédits nouveaux apportent les moyens de payer l’intérêt des anciens.

Et voilà l’exigence de croissance révélée, car sans croissance il n’y aurait plus assez de carburant pour alimenter le moteur et la machine s’arrêterait. Mais la croissance, fût-elle peinte en vert, repose sur une production rentable financièrement, celle qui est gourmande en ressources naturelles.

Ajuster notre modèle économique à ce que la planète peut soutenir obligerait à faire ralentir sensiblement la machine, ce qui, dans le cadre du modèle existant est inconcevable. C’est pourquoi nos têtes pensantes préfèrent la fuite en avant qui revient à creuser des trous de plus en plus profonds dans la nature pour boucher les trous de plus en plus profonds de nos comptabilités .

Parallèlement, toutes les activités dont la finalité n’est pas le profit financier mais le bien-être et la cohésion sociale (Justice, santé, enseignement, recherche, culture, protection sociale, etc...) que je résume sous la dénomination de « Bien commun », ne peuvent pas bénéficier directement de la création monétaire. Comment le pourraient-elles puisque la création monétaire est conçue pour répondre aux besoins d’une clientèle solvable aux activités rentables, seules capables d’honorer leurs dettes par les revenus qu’elles génèrent ? Ce sont les États qui, se substituant aux individus, prennent en charge ce domaine car ils ont le pouvoir de lever l’impôt et d’emprunter grâce à la solvabilité que ce pouvoir leur assure.

La conséquence regrettable est que le Bien commun est ainsi rendu dépendant des performances de l’économie marchande d’où sont tirés les revenus et la crédibilité des Nations. Ce n’est pas neutre car « la main qui donne est au dessus de celle qui reçoit » comme le rappelait Victor Hugo, de sorte que le traitement du collectif est sous influence des intérêts privés; le pouvoir invisible des lobbies et l’ingérence des grosses fortunes dans la vie publique n’en sont-ils pas la preuve?

Voilà donc l’impasse dans laquelle on est engouffrés: 
 
- Si on choisit la fuite en avant dans la croissance, qu’elle qu’en soit la couleur, pour maintenir le système économique à flot, c’est la nature qui, épuisée nous lâchera (et le processus est bien engagé) .

- Si on choisit d’ajuster notre modèle économique à ce que la nature peut supporter, c’est socialement si déstabilisant qu’on peut craindre le pire du pire.

A moins que...
Voilà le défi : L'avenir de l'humanité dépend de sa capacité à passer d'un mode de vie régulé par l’accès à une monnaie rendue sélective par son adossement à une dette, à un mode de vie régulé par ce que la planète peut offrir sans en souffrir. Le défi est donc de parvenir à assurer une suffisance digne aux milliards de terriens tout en rendant globalement compatibles leurs productions et consommations avec ce dont la planète a elle-même besoin pour exprimer le Vivant.

Le modèle en place est incapable de répondre à ce défi, la démonstration vient d’en être faite. Comme en cuisine il y a parfois des incompatibilités. Le défaut majeur qui conduit à l’impasse est de vouloir cuisiner l’intérêt privé et l’intérêt collectif dans la même casserole alors qu’ils ont besoin d’être cuisinées séparément. Car le Bien commun ne se mesure pas en monnaie mais en richesse réelle. Si vous exploitez une terre, vous vendez votre production et l’argent que vous en tirez vous permet d’accéder aux biens et services dont vous pouvez avoir besoin.

La finalité de votre activité, en tant qu’individu, est de gagner de l’argent.  Mais si votre terre vient à ne plus produire, vous êtes cuit. Ce que vous attendez d’elle c’est une récolte de blé ou de tout autre chose. Au nom de l’intérêt particulier vous pouvez exploiter la terre au point de la rende stérile pour gagner le plus d’argent possible, mais cette terre d’où vous tirez votre revenu doit être « payée » autrement pour offrir sa richesse dans la durée.

L’intérêt privé se mesure en monnaie, l’intérêt collectif se mesure (ou plutôt devrait se  mesurer  en richesse réelle. C’est ce que l’introduction d’une deuxième monnaie sur un même territoire rendrait possible. Voyons cela...

Une monnaie complémentaire pour le Bien commun

Concrètement, cela consisterait à autonomiser l’espace économique à finalité de Bien Commun, en  rendant le financement indépendant de l’économie marchande à finalité de profit financier. La « récolte » qu’on attend de lui est ce que nous appellerons ici le bénéfice éco-social (l'atteinte des objectifs écologiques et sociaux visés). Son financement ne serait assuré ni par l'impôt, ni par l'emprunt, mais par l'utilisation d'une monnaie de Bien commun complémentaire à l’euro, créée par un organisme public sous mandat et contrôle citoyen, en contrepartie de projets et activités validés par votations à la suite de débats tenus au niveau local, régional ou national au sein d’un système politique reposant sur deux chambres, une élue, l’autre constituée de citoyens tirés au sort à mandat court et non renouvelable 

 Comprenons que dans ce schéma, le « pourquoi » conditionne le « moyen ». Dans ce nouveau modèle, on exclue de la réflexion l’aspect financier. On élargit ainsi considérablement la palette des possibles, on examine les choses au fond sans frein selon le principe que :
 
- Si un projet à finalité de Bien Commun est collectivement souhaité et que la volonté de le réaliser est là.
- Si les connaissances du moment, les moyens techniques et énergétiques disponibles permettent d'y répondre.
- Si l'empreinte écologique prévisible est compatible avec les normes internationalement admises.
- Si les savoirs-faire et les ressources humaines nécessaires sont disponibles grâce au fait, entre autres, que le monde de la production a et aura de moins en moins besoin de main d'œuvre.
- Si le projet est modélisable pour le mieux-être d’autres peuples.

Alors rien ne s'oppose à sa mise en œuvre car dans ce cas de figure c'est la faisabilité du projet qui conditionne la création monétaire au niveau nécessaire à sa réalisation et non l'importance d’un hypothétique financement (sous influence) qui conditionne le projet.

Il y a toutefois des conditions à respecter :

 1.  Cette monnaie n’a cours qu’à l’intérieur d’un territoire déterminé. Par exemple, au sein de la zone euro, tous les pays ont pour devise marchande l'euro, mais chaque pays de la zone a sa propre monnaie complémentaire permettant à chacun de conduire librement sa politique éco-sociale en fonction de ses spécificités;

2. Elle n'est pas convertible (sauf quelques rares exceptions encadrées); elle n'a donc pas d'effet sur le cours de la devise internationale;

3. Elle a cours légal pour être acceptée par tous;

4. Elle est à parité de pouvoir d'achat avec la monnaie marchande de sorte que les échanges économiques à l'intérieur du territoire se font indifféremment avec l'une ou l'autre monnaie;

5. Elle est fléchée. C’est le point fort. Sa vocation est d’orienter progressivement la production et la consommation vers un modèle respectueux du Vivant sous toutes ses formes. Sauf exceptions encadrées, elle ne donne accès qu’à des biens et services produits ou recyclés sur le territoire de façon responsable. Un label spécifique permet leur repérage. Les conditions d’obtention de ce label auront été préalablement définies au sein de comités où le pouvoir citoyen, éclairé par l’appel à des experts indépendants,  sera prépondérant. Il est probable qu’au départ, en raison de la mondialisation des échanges et des pratiques de production courantes, les exigences éco-sociales ne puissent pas correspondre à ce qui serait souhaitable dans l’idéal. Il faudra donc bien prendre en compte l’état des lieux pour ajuster les critères d’exigence à la réalité du terrain dans une dynamique d’amélioration progressive au fil du temps. Des objectifs, secteur par secteur, seront précisés et les critères de labellisation revus à la hausse régulièrement. Avant la mise en service du dispositif, il conviendra de vérifier que la gamme des produits et services labellisés couvre tout ce qui est essentiel à la vie au quotidien;

6. La mise en œuvre d’un tel projet requiert un débat public et un démarrage progressif sur base volontaire. Pour que cette initiative porte ses fruits elle ne doit pas être imposée mais souhaitée par la population. Une longue période préalable de débats publics est à prévoir pour en rendre les avantages perceptibles à tous. Puis, après définition des critères de labellisation, l’initiative pourra être mise à l’épreuve sur un territoire restreint, une région par exemple avec participation volontaire, dans une dynamique de montée en puissance année après année.

J’entends d’ici les cris d’orfraies des économistes classiques invoquant la loi de Gresham qui prévoit que « la mauvaise monnaie chasse la bonne ».Entendez par là que lorsque deux types de monnaie circulent dans une économie avec une valeur nominale identique mais une valeur intrinsèque différente, la monnaie de moindre valeur (ou de moins bonne qualité) sera préférée pour les transactions courantes, tandis que la monnaie de plus grande valeur (ou de meilleure qualité) sera thésaurisée ou retirée de la circulation.  C’est sans doute vrai à l’intérieur d’un même système, mais nous sommes là dans deux systèmes interdépendants se soutenant l’un l’autre. Au lieu que l’intérêt collectif s’oppose à l’intérêt privé, il en devient l’allié indispensable. De plus, pour se garantir de ce phénomène, les paiements, gérés par les banques, se font dans chaque monnaie au prorata du chiffre d’affaire réalisé dans chaque monnaie.

Et l’inflation direz-vous? Car dans un système à monnaie permanente, où elle est créée au gré des besoins et non détruite puisque non adossée à une dette, elle ne peut que s’accumuler. C’est exact; aussi peut-on utiliser la fiscalité pour réguler la masse monétaire. Il suffit donc de l’utiliser dans une architecture adaptée à cet objectif non plus pour constituer une ressource à redistribuer mais un moyen pour la détruire et éviter ainsi tout risque d’inflation.

Concluons par un exemple

Pour rendre les choses plus palpables, imaginons que la communauté ait choisi de donner priorité à la sécurité alimentaire au plus prés des lieux habités dans un modèle agro-écologique libéré de sa dépendance aux énergies fossiles et intrants chimiques.

Voilà un tout autre métier demandé là à nos agriculteurs, du moins pour tous ceux qui n’ont pas encore versé dans le « bio ».  il est évident que tous ne seront pas appelés à le faire simultanément pour ne pas créer de ruptures et des blocages. Dans tous les cas, le moment venu, leur reconversion entraînera nécessairement une baisse de rendement ne serait-ce que par les surfaces qu’il faudra mettre en jachère pour les régénérer et par les aménagements à opérer pour recréer un écosystème vivant. Cela prendra plusieurs années. Parallèlement, il faudra les accompagner à acquérir de nouvelles pratiques, mais aussi accompagner les secteurs économiques ébranlés par cette reconversion. C’est là que la monnaie de Bien commun entre en jeu.

La perte de revenu d’un côté et les dépenses nouvelles de l’autre sont couvertes par elle ainsi que la rémunération de tous les acteurs d’accompagnement tels que les personnels de formation par exemple. Nous résolvons ainsi un problème récurrent sur lequel bute le système actuel : Toute réforme crée des perdants, tous ceux qui ont à souffrir de la réforme. Grâce à l’introduction de cette monnaie complémentaire de Bien commun libérée de toute dette et d’obligation de profit, il devient possible de compenser à juste niveau les personnes dont la vie est déstabilisée par la réforme. Ainsi, pendant toute la durée du processus de reconversion et jusqu’à ce que la personne puisse retrouver sa plein autonomie, un revenu compensatoire et les dépenses directes et indirectes liées au processus sont couvertes en monnaie complémentaire. Seule la production réalisée pendant cette période et sa vente restent dans le champ de l’économie marchande.

Une fois la reconversion terminée, au bout de quelques années, quand l’agriculteur peut de nouveau vivre pleinement de son activité maintenant labellisée, le soutien en monnaie complémentaire s’arrête. Le même principe s’applique tout au long de la chaîne de transformation jusqu’au point de vente. Le produit à la vente est éligible au label si toute la chaîne s’est organisée pour répondre aux critères définis. À l’achat, le produit peut être payé indifféremment en monnaie nationale et en monnaie complémentaire.

Les deux monnaies se retrouvent ainsi dans la caisse des commerçants. Que vont-t-ils faire de cette monnaie? Ils n’ont pas à s’en soucier, elle sera affectée automatiquement aux divers paiements de quelque nature qu’ils soient ( salaires, factures fournisseurs, loyer, électricité, taxes, etc.) au pro-rata du chiffre d’affaires réalisé dans chacune des deux monnaies en usage.

Toutes deux circulent ainsi dans la communauté et se retrouvent dans les poches de toutes les entreprises et de tous les citoyens. Le cours forcé (1 pour 1 ) facilite les transactions  tandis que  le cours légal donné à la monnaie complémentaire donne à tous la garantie de son acceptation. Ce n’est qu’au stade de la consommation que son utilisation est limitée à ce qui est labellisé. Notez au passage comme cela génère une dynamique vertueuse  car elle transforme progressivement la demande vers du qualitatif soutenable auquel l’économie marchande cherchera naturellement à répondre. 

Il n’est pas nécessaire de tenir une double comptabilité. Tout est facturé et comptabilisé en euros. La distinction n’est faite qu’au niveau bancaire où un compte supplémentaire est ouvert pour gérer spécifiquement les mouvements en monnaie complémentaire. C’est par simple comparaison des volumes portés au crédit des comptes en euros et du compte en monnaie de Bien commun qu’est  déterminé le prorata de paiement. Cette opération est informatisée et donc automatique car les comptes sont reliés. Si une taxe particulière s’applique à cette monnaie, c’est au niveau bancaire qu’il en sera également tenu compte.
Au risque de vous laisser sur votre faim, je vais m’abstenir de décliner la liste des avantages à tirer de la mise en œuvre d’une telle évolution du système monétaire. Je vous laisse l’imaginer en espérant que cet inventaire à la Jacques Prévert vous fera découvrir l’immense étendue des bienfaits à en attendre du local au global.

“C’est impossible dit la Fierté ! C’est risqué dit l’Expérience ! Ça ne sert à rien dit la Raison ! Essayons et Faisons-le dit le Cœur ! R.Godwin

Faire connaissance avec l'auteur Philippe Derruder

Les sociétés ont besoin de deux monnaies : une marchande internationale et une locale au service du Bien commun
Philippe Derruder  a été dirigeant d'une grande entreprise. En 1992, il démissionne de toutes ses fonctions pour  se consacrer aujourd'hui à la recherche de solutions économiques et financières alternatives, ainsi qu'à l'évolution des mentalités. Il partage le fruit de ses recherches et expériences dans ses livres, conférences et ateliers. Il a co - initié le mouvement des monnaies locales complémentaires en France qu'il continue de proumouvoir. Il anime le cabinet de formation"L'homme en devenir ". Il oeuvre au sein des "Econologistes", groupe international francophone de réfélexions et de propositions sur les sysèmess monétaires.

En savoir plus   

Bonus : Guide de mise en oeuvre d'une monnaie complémentaire

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