Chronique de Jean - Pierre Rozier, ethnologue de la ruralité
Il y a deux ans, il nous était tombé dessus une sacrée tempête, nommée Bella, d’ailleurs davantage porteuse de neige que de vent... Elle nous venait direct de l’ouest de la Manche et pour le coup les services de la météo avaient prévenu largement, elle n’était pas arrivée à l’improviste, Bella, l’aguichante Anglaise de formes généreuses sous son polisson et pesant manteau de fourrure blanche : vent violent, importantes chutes de neige sur le Massif central au-dessus de 600 mètres d’altitude. Elle avait surgi à l’heure dite, en bout d’après-midi du dimanche, deux jours après le père Noël, emballante et ronflante, mue par un enroulement cyclonique puissant de l’océan, empanachée de flocons gras, onctueux, serrés à se toucher.
Lors de l’accalmie relative des lendemains, on s’était escrimé à mesurer les hauteurs au sein des bourgs, soixante bons centimètres à Bagnols et Cros, un mètre à Picherande… Le mesurage s’avérait plus aléatoire en rase campagne, les souffles ayant soulevé la neige des surfaces exposées, l’ayant entrainée dans de voluptueuses danses pour mieux la précipiter, exsangue, au creux des matelas du terrain… On interrogea les pépés et les mémés, et bien sûr que cela leur évoquait leurs jeunes années, mais précisément à quand fallait-il remonter pour rencontrer une telle épaisseur ? On évoqua un assez proche 2005, par un temps froid de bise durable et d’écir, mais avec une couche objectivement en retrait… Dans les journaux, les rédacteurs s’en tirèrent par une formule suffisamment vague pour ne pas manger de pain : « on n’avait pas vu cela depuis au moins quarante ans ! ». Il fallut à la fin se rendre à l’évidence : jamais, de mémoire d’homme, il n’était tombé un si épais édredon en un temps aussi court qu’en cette nuit lactée du 27 au 28 décembre 2020 ! Bella n’était pas qu’une belle allumeuse, elle avait tenu ses promesses plantureuses.
C’était ainsi, alors qu’il n’était plus personne pour contester le réchauffement du climat et la disparition des neiges d’antan, votre serviteur s’étant laissé aller à en tartiner de copieuses pages sur le sujet, voilà qu’il nous revenait un drôle de retour de bâton. 2020, une année corsée doublement ! Dès fin septembre, le sol s’était couvert d’un fugitif nappé de malingres flocons, comme un signal précurseur, et l’on avait déjà tenté, un peu vainement, de ressusciter des souvenirs en perdition…
Succédant à la tempête, un froid vif, sans dégel diurne, avait durci deux semaines durant la couche qui commençait à se tasser. Enfants, on parlait de neige tôlée et, là-dessus, à skis ou sur luge, y faire attention, ça détalait en flèche ! Puis, un redoux fugace avait fait irruption, il avait même pluvioté, ce qui avait eu le détestable effet d’alourdir les fardeaux sur les arbres et certaines toitures de bâtiments d’élevage posées trop à plat : paysans et paysages avaient dû composer avec des dégâts en supplément !
Dans notre banlieue, les vœux de bonne année nous arrivaient avec des brassées de photos numérisées : à qui la vue la plus féérique de paysage englouti sous la blanche toison ? Les municipalités avaient réquisitionné de jour comme de nuit matériel et personnel pour dégager les chemins, le travail se trouvant anéanti à maints endroits par les malignités des souffles nocturnes… Dans les bourgs, on avait bouté la neige hors les murs, à grand renfort de pelleteuses et de bennes, afin de faciliter les mouvements de piétons et voitures… À l’entour des maisons, l’ensemble des bras, juvéniles ou fatigués, des plus énergiques aux plus rhumatisants, furent mis en action pour pelleter la neige…
Dans les journaux locaux, à défaut d’actualités affriolantes pour cause de confinement, cette neige abondante avait débarqué tel un cadeau du ciel. Là encore, on en fit cliqueter de la chinoiserie de prise d’instantanés ! Dans le Semeur-Hebdo, la correspondante de Perpezat ouvrit son petit jeu hivernal, en droite ligne des épreuves du concours concocté par La Montagne dans les années soixante : au vu d’un chemin percé entre deux impressionnants remparts, quelle était la taille de la plus haute congère et quel était le volume de neige dégagé ?
Et cela alors que les stations de sport d’hiver, Covid oblige, restaient pistes closes par force de la loi ! Cela faisait mal au cœur ces cabines de remonte-pente au chômage, suspendues à la crête des câbles, contraintes à l’immobilité, hormis les coups de bélier du vent, avec à leurs pieds un tapis si dense…
Au bout de trois semaines, s’enchaina une succession de coups de vent hurlant de sud escortés de pluies battantes. Rarement on avait vu débâcle aussi rondement menée… La lourde couche de bouillie pâle se retira au profit des tabacs bruns de l’herbe morte ; les tonnes à lisier en profitèrent pour sortir et parfumer l’air... Le réchauffement avait repris le dessus ! En février, aux altitudes, ne subsistaient que des lambeaux épars de la blanche hermine jetée là deux mois plus tôt par l’intrépide Bella. Protégé par sa couverture opulente, l’univers végétal avait profité de la fugace parenthèse d’une hibernation qu’il croyait révolue et, après un avril de steppes de l’Oural et un mai de vents d’Ouessant, jamais herbe de juin ne fut si heureuse de vivre !
Lors de l’accalmie relative des lendemains, on s’était escrimé à mesurer les hauteurs au sein des bourgs, soixante bons centimètres à Bagnols et Cros, un mètre à Picherande… Le mesurage s’avérait plus aléatoire en rase campagne, les souffles ayant soulevé la neige des surfaces exposées, l’ayant entrainée dans de voluptueuses danses pour mieux la précipiter, exsangue, au creux des matelas du terrain… On interrogea les pépés et les mémés, et bien sûr que cela leur évoquait leurs jeunes années, mais précisément à quand fallait-il remonter pour rencontrer une telle épaisseur ? On évoqua un assez proche 2005, par un temps froid de bise durable et d’écir, mais avec une couche objectivement en retrait… Dans les journaux, les rédacteurs s’en tirèrent par une formule suffisamment vague pour ne pas manger de pain : « on n’avait pas vu cela depuis au moins quarante ans ! ». Il fallut à la fin se rendre à l’évidence : jamais, de mémoire d’homme, il n’était tombé un si épais édredon en un temps aussi court qu’en cette nuit lactée du 27 au 28 décembre 2020 ! Bella n’était pas qu’une belle allumeuse, elle avait tenu ses promesses plantureuses.
C’était ainsi, alors qu’il n’était plus personne pour contester le réchauffement du climat et la disparition des neiges d’antan, votre serviteur s’étant laissé aller à en tartiner de copieuses pages sur le sujet, voilà qu’il nous revenait un drôle de retour de bâton. 2020, une année corsée doublement ! Dès fin septembre, le sol s’était couvert d’un fugitif nappé de malingres flocons, comme un signal précurseur, et l’on avait déjà tenté, un peu vainement, de ressusciter des souvenirs en perdition…
Succédant à la tempête, un froid vif, sans dégel diurne, avait durci deux semaines durant la couche qui commençait à se tasser. Enfants, on parlait de neige tôlée et, là-dessus, à skis ou sur luge, y faire attention, ça détalait en flèche ! Puis, un redoux fugace avait fait irruption, il avait même pluvioté, ce qui avait eu le détestable effet d’alourdir les fardeaux sur les arbres et certaines toitures de bâtiments d’élevage posées trop à plat : paysans et paysages avaient dû composer avec des dégâts en supplément !
Dans notre banlieue, les vœux de bonne année nous arrivaient avec des brassées de photos numérisées : à qui la vue la plus féérique de paysage englouti sous la blanche toison ? Les municipalités avaient réquisitionné de jour comme de nuit matériel et personnel pour dégager les chemins, le travail se trouvant anéanti à maints endroits par les malignités des souffles nocturnes… Dans les bourgs, on avait bouté la neige hors les murs, à grand renfort de pelleteuses et de bennes, afin de faciliter les mouvements de piétons et voitures… À l’entour des maisons, l’ensemble des bras, juvéniles ou fatigués, des plus énergiques aux plus rhumatisants, furent mis en action pour pelleter la neige…
Dans les journaux locaux, à défaut d’actualités affriolantes pour cause de confinement, cette neige abondante avait débarqué tel un cadeau du ciel. Là encore, on en fit cliqueter de la chinoiserie de prise d’instantanés ! Dans le Semeur-Hebdo, la correspondante de Perpezat ouvrit son petit jeu hivernal, en droite ligne des épreuves du concours concocté par La Montagne dans les années soixante : au vu d’un chemin percé entre deux impressionnants remparts, quelle était la taille de la plus haute congère et quel était le volume de neige dégagé ?
Et cela alors que les stations de sport d’hiver, Covid oblige, restaient pistes closes par force de la loi ! Cela faisait mal au cœur ces cabines de remonte-pente au chômage, suspendues à la crête des câbles, contraintes à l’immobilité, hormis les coups de bélier du vent, avec à leurs pieds un tapis si dense…
Au bout de trois semaines, s’enchaina une succession de coups de vent hurlant de sud escortés de pluies battantes. Rarement on avait vu débâcle aussi rondement menée… La lourde couche de bouillie pâle se retira au profit des tabacs bruns de l’herbe morte ; les tonnes à lisier en profitèrent pour sortir et parfumer l’air... Le réchauffement avait repris le dessus ! En février, aux altitudes, ne subsistaient que des lambeaux épars de la blanche hermine jetée là deux mois plus tôt par l’intrépide Bella. Protégé par sa couverture opulente, l’univers végétal avait profité de la fugace parenthèse d’une hibernation qu’il croyait révolue et, après un avril de steppes de l’Oural et un mai de vents d’Ouessant, jamais herbe de juin ne fut si heureuse de vivre !