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7. Jadis, les enfants naturels ...


Chronique de Jean-Pierre Rozier Ethnologue de la ruralité

7. Jadis, les enfants naturels ...
Les enfants nés hors mariage, dits « naturels » sur les actes de naissance, en opposition avec les « légitimes », étaient plus fréquents que ce que j’imaginais. Certes, une morale tatillonne sur laquelle veillait une Église influente, recouvrait nos contrées, mais que pouvait la rigidité de la doctrine contre des instants d’oubli sensuel sur le foin des granges, contre l’irrésistible force d’attraction des corps sous les taillis des bois ou les genêts des bughes ?

     J’ai fait mon enquête pour la commune de Cros, à partir des actes d’état civil, ceci sur une durée de 40 ans, de 1873 à 1912. Je vous livre tout cru le résultat : sur un total de 1028 venues au monde, il y en avait eu 59 naturelles, soit environ 6 %. Un pourcentage non négligeable, à priori non éloigné de celui des communes des environs, mais en deçà cependant du taux de 9 % mis en évidence par les démographes en période comparable pour la France entière. Hasard des données, on ne relève aucune naissance en dehors des clous en certaines années et en d’autres on en compte trois ou quatre…

     Il est bon de préciser que nombre de procréations intervenues hors mariage avaient été, si l’on peut dire, rattrapées par les cheveux. La demoiselle, son ventre déjà rond en-dessous sa robe, avait épousé le père, voire un autre homme consentant à endosser une paternité dont il n’était pas l’artisan. L’honneur était sauf, et au bout du compte on proclamait légitime l’enfant en dépit du non-respect strict des neuf mois au sein des frontières sacrées du mariage.  

     Dans mon élan bucolique premier, je m’étais dit qu’une grande majorité des procréations avait eu lieu en extérieur, en sève montante de printemps ou durant les grandes chaleurs d’été, en manière de gaudrioles optimistes peintes plaisamment et innocemment par Jacques Bertin dans Corentin, l’une de ses premières chansons : Corentin / l’âme légère / les oreilles au long du vent / et dansant sur ses deux ailes / s’en allait à travers champs / il vit passer une bergère / à la vertu mensongère / au corsage acoquinant / fille de guise légère / et de plaisir sautillant / Corentin, fine braguette / se sentit du mouvement / l’accueillante fille de laine / laissa filer ses moutons / lesquels prévoyant l’affaire / autour se mirent en rond / faisant un concert de chambre / pour couvrir fort bellement…

     Ce genre d’aventure pastorale devait logiquement se traduire par de premiers cris de bébés à compter du février suivant…  Las, mon intuition est battue en brèche : au rayon des naissances naturelles, avril se montre à peine plus fécond que décembre ! Copie à revoir… Les rapports sexuels avaient eu lieu tout autant durant une saison revêche se trainant en longueur, dans la prison de murs rigoristes et resserrés, conditions pourtant peu propices à la bagatelle avec la jeunesse d’alentour… Alors, sans doute, au moins pour une partie à ne pas négliger, des enfants nés d’incestes familiaux ? Sujet tabou : qui d’ailleurs est en mesure de fournir des statistiques inattaquables ? Autre époque où, de fait, les hommes croyaient détenir sur les femmes un droit de cuissage, y compris dans un cadre familial, les abus pouvant provenir des pères ou grands-pères, des frères, oncles ou cousins !

     Les déclarations de naissance en mairie étaient faites par les pères ou mères de la fille accouchée, ou encore par un voisin ou une voisine. L’enfant, par le truchement d’un acte officiel en mairie, était généralement reconnu par sa mère dans les jours et mois suivants, ceci apportant des assurances quant au non abandon de l’enfant. Pour autant, une non reconnaissance ne signifiait pas forcément sa mise à l’écart, que ce soit dans un cercle familial élargi ou à l’ex-térieur, par exemple dans un orphelinat.

     J’ai essayé de retracer les trajets d’existence des filles-mères et de leurs enfants. Mon enquête n’a pas été très fouillée, mais j’ai cru y voir des destins qui ne variaient guère de ceux de l’ordinaire de la population. À Cros, en ces temps, au pays des Pézaire, des Lachaize et des Léoty, des Force, des Jabiol et des Estrade, on s’en allait volontiers chercher meilleure pitance hors du sérail, sur le nord du Cantal, en région clermontoise, à Paris ou dans les régions de l’ouest et du centre, ainsi que l’attestent les actes de décès. Et, qui peut s’en étonner, on mourait tôt !

     Deux exemples pris au hasard…

     Françoise, cardeuse de laine de 21 ans, avait mis au monde une fille en 1873, également prénommée Françoise. Trois ans après, elle avait épousé Annet, 22 ans pas plus, cultivateur et meunier, les jeunes mariés ayant assuré « qu’il était né d’eux un enfant inscrit à l’état civil ». Et puis Annet était mort assez vite, Françoise avait refait sa vie avec Pierre : une nouvelle descendance à la clé…

     François, lui, avait vu le jour en 1903 d’une mère âgée de 24 ans qui l’avait reconnu. On retrouve les deux au recensement de 1906 au village de Lissartade. Puis un grand vide jusqu’à sa mort, survenue à Vendôme en 1975 ! Le jeune bâtard avait sans doute subi les sarcasmes des langues de vipères, à l’égal de toute la confrérie des enfants naturels, mais sans traumatisme excessif et, au final, on peut supposer qu’il avait mené une vie qui ne se démarquait guère de celles des congénères nés légtimement !                                                                        
 

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