En observant le paysage autour de soi, l’on se demande : qu’est-ce qui a changé en un siècle ? On en est sûr, le tracé des montagnes en dents de scie vers la perspective de l’est n’a pas bougé. Les troupeaux ? Ils ont sérieusement gagné en taille et en homogénéité, ont perdu en pittoresque, mais savent aussi, ramenés à la bête, présenter des silhouettes mieux lustrées et mieux portantes. L’herbe ? Elle a étouffé toute céréale et se montre conquérante sous l’action de dopants irréfutables, lisier prégnant et poussière pâle des engrais pétrochimiques… Le parfum de garrigue du serpolet qui imprégnait l’atmosphère d’été des bughes pauvres s’est évaporé, la soie délicate des pétales de violettes sauvages a mis les voiles et les genêts balais ont été balayés bel et bien…
On n’y pense pas suffisamment, le changement majeur est ailleurs : c’est la généralisation des clôtures dans l’entre-deux-guerres. Combien le randonneur, le cueilleur de champignons voire le chasseur aimeraient au présent retrouver les libres trajets, les espaces grand-ouverts d’antan ! Les petits bergers, fillettes ou garçonnets, contenaient les bovins sur les parcelles imparties, broutées à ras en leur centre, mais avec une herbe moins ratiboisée aux frontières, à la jonction des voisinages interdits. Ils gardaient avec le chien, compagnon déclaré, sous tous les climats, pieds mouillés plus souvent qu’au sec, enfants de la famille ou enfants placés dans le cas des fermes de quelque importance sans descendance en capacité ou en volonté de réaliser la tâche. Au recensement de 1886, sont répertoriés à Méjanesse, Fouris Antoine et Bertrand Jean, treize et dix ans, pâtres chez les Guillaume/Gaydier, propriétaires, Laudouze Marie, douze ans, dite bergère-domestique chez les Ravel/Vazeille, fermiers, ou encore Ballet Marie, quatorze ans, d’un même état, chez mes ancêtres, les Guillaume/Brandely.
Anecdote au passage, on était peu avant l’arrivée de ces fameux barbelés, une histoire cocasse était arrivée à mon oncle Loulou et à Antoinette Vernet qui gardaient leurs vaches domestiques sur des pacages contigus. Un type était accouru de la route ; forcément aucun fil n’était là pour le ralentir dans sa course. Il s’était déshabillé illico, enfin déculotté surtout, on peut supposer, et exhibé ainsi devant eux. Traumatisme ! Si Antoinette n’avait rien cafté en sa demeure, Loulou s’était délivré en la sienne. Moi, je te lui aurais donné un bon coup de bâton où je pense, avait laissé tomber Philomène.
Doit-on insister, le fil de fer ronce avec ses papillons de porc-épic, les poilus l’avaient connu au front, et de quelle manière ! Par la suite, des stocks inutilisés étaient arrivés jusqu’aux campagnes écartées et, à partir des années trente, on disposait dans les quincailleries de rouleaux piquants en veux-tu en voilà. Finis les bergers, mises au rebus les conditions d’élevage qui allaient avec ! Désormais, à la belle saison, on n’avait plus à rentrer le troupeau durant les nuits, et on permettait à la jeunesse bovine, bourrettes et doublonnes, de vivre sa vie à sa guise, du printemps à l’automne, sur un pacage au large, un simple coup d’œil de loin en loin…
Pour ça, de nos jours, les fils de fer sont tendus, tendus à se rompre, et rapprochés, rapprochés à se toucher les uns les autres, et tenus par des piquets de chêne plantés drus en terre. « Barbelés serrés / concentration vaches au pré / mais miradors absents ». Réminiscences de stalag, relents de camps militaires… Des résidents aux rêves bucoliques, installés à dessein parmi les herbages, se plaignent de n’avoir aucune latitude gestuelle : sentiments amers d’imposture et d’entrave ! Et le quidam de passage aurait des envies meurtrières avec ses cisailles !
Dans ma jeunesse, les clôtures ne présentaient pas un profil aussi strict, il y avait relâche dans les lignes. On se faufilait sous le fil du bas en roulant, à la façon du combattant, on s’infiltrait entre deux rangées en faisant gaffe de rapatrier au plus près de son corps les pans libres de vêtement, ceci en choisissant le meilleur endroit : pour femmes et enfants, c’était un procédé adapté. Les hommes, hormis les courtauds sur pattes, appliquaient la technique de l’échalas consistant à enjamber la clôture en prenant soin lors de l’engagement initial de rabaisser de la main le fil du haut au niveau de l’entrejambe. Pour les sportifs avérés, s’offrait le saut félin à la Guy Drut, de front et avec élan : je pratiquais ainsi en certains points distendus, mais je ne voudrais pas en rajouter sur mes prouesses ! Ces pratiques sont désormais hors-jeu : trop proche du sol la ligne du bas, trop élevé celle du haut et trop resserrées les épines… Ne reste que la solution de l’ouverture des claies, mais vous vous déboitez l’épaule rien qu’à décoller l’attache du poteau d’appui… Bref, impossible de couper par les près : les chemins, et silence dans les rangs !
Positivons, les barbelés plaisent aux oiseaux : des lignes d’atterrissage idéales où poser ses pattes et se positionner aux aguets… Les hirondelles, de leur côté, avaient profité d’une telle aubaine avec électricité et téléphone, mais depuis que l’on a enterré les fils ou que l’on fait sans eux !
On n’y pense pas suffisamment, le changement majeur est ailleurs : c’est la généralisation des clôtures dans l’entre-deux-guerres. Combien le randonneur, le cueilleur de champignons voire le chasseur aimeraient au présent retrouver les libres trajets, les espaces grand-ouverts d’antan ! Les petits bergers, fillettes ou garçonnets, contenaient les bovins sur les parcelles imparties, broutées à ras en leur centre, mais avec une herbe moins ratiboisée aux frontières, à la jonction des voisinages interdits. Ils gardaient avec le chien, compagnon déclaré, sous tous les climats, pieds mouillés plus souvent qu’au sec, enfants de la famille ou enfants placés dans le cas des fermes de quelque importance sans descendance en capacité ou en volonté de réaliser la tâche. Au recensement de 1886, sont répertoriés à Méjanesse, Fouris Antoine et Bertrand Jean, treize et dix ans, pâtres chez les Guillaume/Gaydier, propriétaires, Laudouze Marie, douze ans, dite bergère-domestique chez les Ravel/Vazeille, fermiers, ou encore Ballet Marie, quatorze ans, d’un même état, chez mes ancêtres, les Guillaume/Brandely.
Anecdote au passage, on était peu avant l’arrivée de ces fameux barbelés, une histoire cocasse était arrivée à mon oncle Loulou et à Antoinette Vernet qui gardaient leurs vaches domestiques sur des pacages contigus. Un type était accouru de la route ; forcément aucun fil n’était là pour le ralentir dans sa course. Il s’était déshabillé illico, enfin déculotté surtout, on peut supposer, et exhibé ainsi devant eux. Traumatisme ! Si Antoinette n’avait rien cafté en sa demeure, Loulou s’était délivré en la sienne. Moi, je te lui aurais donné un bon coup de bâton où je pense, avait laissé tomber Philomène.
Doit-on insister, le fil de fer ronce avec ses papillons de porc-épic, les poilus l’avaient connu au front, et de quelle manière ! Par la suite, des stocks inutilisés étaient arrivés jusqu’aux campagnes écartées et, à partir des années trente, on disposait dans les quincailleries de rouleaux piquants en veux-tu en voilà. Finis les bergers, mises au rebus les conditions d’élevage qui allaient avec ! Désormais, à la belle saison, on n’avait plus à rentrer le troupeau durant les nuits, et on permettait à la jeunesse bovine, bourrettes et doublonnes, de vivre sa vie à sa guise, du printemps à l’automne, sur un pacage au large, un simple coup d’œil de loin en loin…
Pour ça, de nos jours, les fils de fer sont tendus, tendus à se rompre, et rapprochés, rapprochés à se toucher les uns les autres, et tenus par des piquets de chêne plantés drus en terre. « Barbelés serrés / concentration vaches au pré / mais miradors absents ». Réminiscences de stalag, relents de camps militaires… Des résidents aux rêves bucoliques, installés à dessein parmi les herbages, se plaignent de n’avoir aucune latitude gestuelle : sentiments amers d’imposture et d’entrave ! Et le quidam de passage aurait des envies meurtrières avec ses cisailles !
Dans ma jeunesse, les clôtures ne présentaient pas un profil aussi strict, il y avait relâche dans les lignes. On se faufilait sous le fil du bas en roulant, à la façon du combattant, on s’infiltrait entre deux rangées en faisant gaffe de rapatrier au plus près de son corps les pans libres de vêtement, ceci en choisissant le meilleur endroit : pour femmes et enfants, c’était un procédé adapté. Les hommes, hormis les courtauds sur pattes, appliquaient la technique de l’échalas consistant à enjamber la clôture en prenant soin lors de l’engagement initial de rabaisser de la main le fil du haut au niveau de l’entrejambe. Pour les sportifs avérés, s’offrait le saut félin à la Guy Drut, de front et avec élan : je pratiquais ainsi en certains points distendus, mais je ne voudrais pas en rajouter sur mes prouesses ! Ces pratiques sont désormais hors-jeu : trop proche du sol la ligne du bas, trop élevé celle du haut et trop resserrées les épines… Ne reste que la solution de l’ouverture des claies, mais vous vous déboitez l’épaule rien qu’à décoller l’attache du poteau d’appui… Bref, impossible de couper par les près : les chemins, et silence dans les rangs !
Positivons, les barbelés plaisent aux oiseaux : des lignes d’atterrissage idéales où poser ses pattes et se positionner aux aguets… Les hirondelles, de leur côté, avaient profité d’une telle aubaine avec électricité et téléphone, mais depuis que l’on a enterré les fils ou que l’on fait sans eux !