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43. Musiciens de bals


Par Jean Pierre Rozier, ethnologue de la ruralité

43. Musiciens de bals
Sur les bals qui fleurissaient en nos bourgs d’Artense, il est obligé de faire un retour ! En
notre jeunesse, l’éventail des sorties était limité. Le bal, c’était à la fois spectacle de chemises
chamarrées sur l’estrade et ébauches coquines sur le parquet !

Le livre de Jean-Pierre Cousteix (Une vie de bals en France) va fournir la trame à ma
chronique... Jean-Pierre, un saltimbanque au long cours, sur la brèche durant 65 ans, enfant de
Cros qui plus est ! La musique lui brûlait les veines, portée par sa branche maternelle. Un
grand-père violoneux, mais cantonné à l’harmonium de l’église après la Grande guerre, du fait
d’une main perdue au combat. Une mère, Odette, violoniste classique de haut vol et
professeure à Bort, mais en capacité d’interpréter d’envoutante manière les airs de tradition,
ceux des Boyer et Gatignol du cru, dont l’un, plus immortel que les comparses, nommé Lanla.
Le garçon débute le violon à 3 ans, mais bien vite la guitare s’impose, acoustique, puis dans le
vent de fée électricité…

Jean-Pierre compte à peine 15 ans quand Gaston Gendre, la figure locale de l’accordéon, lui
demande de rejoindre son orchestre… Un premier bal à Briffons dans une salle de bistroquet,
et un cachet de 7000 anciens francs ! Le patron a sorti les tables pour laisser place aux
danseurs. La scène où se tassent en un précaire équilibre les musiciens n’est autre que le
billard sur lequel ont été arrimés des plateaux de bois !

Durant 3 ans, avec ses compères, le jeune homme écume la contrée… En priorité les bals de
fêtes patronales, les dimanches soirs, en des salles incertaines ! On enfourne dans la Simca
Ariane le matériel, on surcharge le toit… Trois gars à se serrer sur la banquette avant, et Jean-
Pierre, recroquevillé en arrière sur un modique tabouret, son amour de guitare sur ses cuisses !
Lors des mariages, l’équipe se réduit à un accordéoniste et un guitariste. Les agapes ont tout
loisir, au printemps, de se dérouler dans des granges évidées de leur foin : et quand les anciens
se lancent dans une frappante bourrée, bonjour la poussière dans les bronches !

Pour les bals publics, se dressent des buvettes sommaires, avec choix basique, vin rouge ou
rosé, limonade, sirops menthe ou citron. On ne s’encombre guère d’hygiène : pas de
réfrigérateur ni d’évier, des verres de 12 centilitres passés à la va-vite à la flotte entre deux
remplissages, dans un bain permissif où les virus des uns rencontrent les microbes des
autres en un drôle de sabbat échangiste !

Et puis sont arrivés en force les structures mobiles, tentes-chapiteaux et parquets-salons,
faciles d’installation, place de village, coin de prairie… Rien de prévu pour les besoins
naturels : jets rustiques lancés sur l’herbe ou contre un arbre par les mecs, vidanges calculées
pour les nanas, derrière le buisson ou entre deux autos !

Au printemps 1962, en mon épique hameau de Méjanesse, Marius Boivin, tenancier de café-
restaurant, avait eu l’audace d’organiser une fête, à l’instar des bourgades. Et le bal, en sa
structure succincte (plancher posé sur cales, portes accolées de couleur en guise de cloisons
extérieures et charpente métallique avec bâche de toile tendue par-dessus) dressée sur un
angle de son pacage du Champ-Grand, avait connu de fières entrées en ce jour de bise noire.
Et qui s’était produit sur la scène champêtre ? L’orchestre de Gaston bien sûr, lui à l’accordéon, Dédé Guitard au saxo, Claude Rochez à la batterie et… Jean-Pierre Cousteix à sa gratte enchanteresse !

Nous, les gosses de tribu autochtone, on avait tous les droits : fourrer notre nez partout, se
glisser sous le parquet, naviguer au-dessus… Jusqu’à une heure avancée de la nuit, des échos
portés par des souffles nordiques opiniâtres avaient enveloppé de vagues sonores les villages
s’étendant vers La Tour et Tauves et troublé bien des sommeils paysans !

Au menu des danseurs, une large palette, marche, paso, valse, tango, java, charleston, aussi,
gage de modernité, cha-cha-cha, twist, rock, slow, tout cela sur partitions musette ou chansons
en vogue… Aisance naturelle des filles à contrario de gars aux allures fréquemment
empotées !

Fin 1962, Jean-Pierre est convoqué par l’armée : 18 mois de service militaire à Oran. Il entre
dans le groupe musical chargé de distraire les troupes : il y a pire !

Retour vers Gaston après la quille… Mais en ce jour d’avril 1965, à l’approche du Pont sur la
Burande à La Tour, notre gars avait frisé le trépas. Sa voiture partie en tonneaux sur les
gravillons et fracassée contre un mur ! Lui par chance éjecté à travers le pare-brise, sans
fractures mais avec un visage salement amoché : quarante point de suture effectués à vif par le
toubib Andrieux !

Une lassitude se fait jour, le cœur n’y est plus vraiment avec Gaston, charmant garçon, mais
un brin flemmard, qui, après trois morceaux à son soufflet magique, laisse ses musiciens à
leur sort pour aller jacasser et boire le canon ! Jean-Pierre rejoint des orchestres de bonne
tenue, tel celui de Fernand Raynaud, homonyme et cousin de l’humoriste, puis il s’envole
pour Cadaqués distraire les gentils membres du Club Méd.…

La consécration enfin en 1967 avec la fondation du groupe « Les copains ». Au programme,
« Le Hit-Parade au dancing » ! Un succès épatant ! Ceux de mon âge gardent en tête les
affiches aguicheuses agrafées aux arbres et placardées aux murs en rebord des routes ! Les
gars disposent d’un super matos transporté par un fringant Mercedes 508. Les minettes
accourent… On anime les bals qui succèdent aux prestations de Johnny Hallyday, Claude
François, Joe Dassin, Michel Sardou, le gratin du show-biz. On enregistre des disques, on
s’invite au petit écran, on fait ami-ami avec Aimable, Verchuren et Yvette Horner !

En 1988, l’apothéose : Jean-Pierre crée l’orchestre que vous avez connu, à son nom… Le
guitariste-chanteur, harmonica à l’occasion, à la barre du quatuor, et pour un sacré bail !
L’heure est aux bilans… Une si longue vie de moderne troubadour : 7550 bals, 1,5 millions
de kms parcourus, 16 guitares à la ramasse ! Quant aux flirts, coucheries, épousailles, portes
claquées et embrouilles auxquels notre homme a assisté, « houlala un certain nombre ! ».
 
                                                                                                                                                                                                     (Octobre 2025)

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