Par Jean Pierre Rozier, ethnologue de la ruralité

Quand survient la révolution de 1789, Cros compte 550 habitants.
Déboule alors la grande expansion, cela jusqu’en fin des années 1800 : 765 habitants en 1836 lors du premier recensement et 985, le pic, en 1881 ! Un quasi doublement en moins d’un siècle !
On sait les facteurs ayant permis cette envolée. Partant d’un taux de fécondité important par femme (de 20 ans à la ménopause, un potentiel de 12 à 15 enfants, malgré les allaitements),une mortalité en recul grâce à des périls moindres et à une progressive médicalisation…
En outre, la contrée sait encore garder ses habitants. Les départs des hommes ne sont souvent que saisonniers : ramoneurs, colporteurs, chiffonniers, et toute la panoplie des activités agricoles et forestières, directions plaines et montagnes !
Ă cet apogée, 200 personnes environs vivent au bourg et près de 800 se répartissent dans 28 hameaux, lieudits ou écarts. Fouillat totalise 141 habitants et 23 foyers…
Les familles de cultivateurs, plus de 90% des effectifs, se nichent jusqu’au cœur du bourg où l’on trouve par ailleurs cinq aubergistes, deux cantonniers, un instituteur, une institutrice, un boulanger, une couturière et un curé. Dans les villages, hors paysannerie, on ne dégote guère que des sabotiers et des galochers, ainsi quatre à Fouillat encerclé par des hêtraies ardentes.
On relève, toujours en 1881, 35 naissances, 17 décès, et 7 mariages dont les époux viennent tout au plus de communes limitrophes : Bagnols, Saint-Donat, Trémouille-Saint-Loup, Lanobre…
La population vit pour beaucoup en autarcie. Les échanges, limités à la portion congrue, se réalisent avant tout lors des foires.
Les cultures (seigle, sarrasin, avoine, pommes de terre, lin, chanvre) couvrent un tiers des superficies cultivables. S’y ajoute une constellation de jardins-potagers.
L’exploitation du bois est forcenée, à des fins de chauffage, de cuisson des aliments et de menuiserie-charpente. Les cartes postales de l’époque nous montrent des paysages
étonnamment glabres…
Ă compter de 1881 s’enclenche une véritable débandade, alors qu’en parallèle la ruralité s’engage dans une économie d’échanges... En 1911, se sont installés au bourg un épicier, un charcutier, un cuisinier, un garçon de salle, un buraliste, un menuisier, un facteur, un tailleur d’habits, un ferrailleur, un cordonnier et un garde-champêtre !
On assiste à des départs massifs, jeunes adultes en priorité, vers les gros bourgs des environs, vers Clermont et la Limagne, plus au loin, le Centre-Ouest, Paris, et ce sont des départs définitifs, non plus saisonniers !
Parmi les 35 personnes nées en l’an 1881, le registre d’état civil indique les lieux de décès pour neuf d’entre elles : deux seulement morts à Cros, trois en d’autres lieux du Puy de-
Dôme, deux dans le sud-ouest et deux en région parisienne. Sur la base de cet échantillon, seulement 20 à 25 % ont poussé ici leur dernier soupir…
La commune de Cros exporte en masse ses humains et n’en accueille pas… Exode massif : en priorité des métiers manuels, mais ne sont pas exclus les emplois dans le commerce, la fonction publique…
Exportation des hommes, donc des noms : l’on retrouve aujourd’hui des patronymes typiques du cru aux quatre coins de France, ainsi Grouffaud (Cantal, Corrèze, Allier, Charente) ou Pezaire (Charente, Indre, Yonne, Aude, Bouches-du-Rhône, région parisienne, Alsace-
Lorraine).
L’hécatombe de la guerre de 14-18 et des départs féminins notables après 45 accroissent le recul des forces vives, avec incidence sur la natalité : d’abord des femmes vouées au veuvage ou au célibat, ensuite des hommes, agriculteurs notamment, appelés à devenir vieux garçons.
Ă noter enfin un meilleur contrôle de leur fécondité par les femmes, même si contraception et avortement n’entrent dans les mœurs qu’à partir de la décennie 70 !
En 1968, on ne relève plus que 306 habitants et en 2021, le point bas, 167 (une reprise légère depuis).
En résumé, une population divisée par six, soit le lot de nombre de communes, les localités longtemps porteuses du statut de chef-lieu de canton, telles Tauves et La Tour, s’en sortant mieux.
Et maintenant ?
Si la commune de Cros laisse encore partir une portion de sa jeunesse, elle importe une
population venue d’autres horizons, de France ou d’Europe, Pays-Bas notamment, et cela sans droits de douane, excusez la vanne ! Renouveau ! Des noms aux tonalités exotiques s’immiscent dans les associations, sur les listes électorales…
L’avenir passe nécessairement par cet apport extérieur, quoi qu’en pensent ceux dont les idées penchent vers un conservatisme étroit. La pyramide des âges, sans parler de champignon atomique, présente une lourdeur d’épaule pour un pied fragile ! En 2021, sur 100 personnes, 23 entre 0 et 29 ans, 36 entre 30 et 59 ans et 41 de plus de 60 ans parmi lesquels, il faut s’en féliciter, beaucoup entre 60 et 74 ans, soit un troisième âge encore vert !
Comment ne pas évoquer l’effondrement du nombre d’exploitations agricoles ?
Aujourd’hui,on compte moins de dix fermes alors que la surface agricole s’est pour l’essentiel maintenue : c’est dire le bond de la productivité du travail permis par les machines !
La moindre pression humaine agit sur les boisements. La poussée végétale est manifeste au long des haies, sur les parcelles à l’écart, dans les bois et forêts, ce qui se traduit pour les habitants par une visibilité en réduction : « fermeture des paysages », déplore-t-on !
Jadis monopoles paysans, les hameaux accueillent de nouvelles têtes. Potentialité évidente de conflits : l’agriculture moderne a du mal à accorder ses violons avec une écologie exigeante (calme, absence d’engrais, de pesticides et de mauvaises odeurs, respect du petit
patrimoine…).
Dernier point éclairant, l’habitat. Les 985 habitants de 1881 se distribuaient entre 175
maisons : en moyenne six habitants pour chacune d’elles du fait de nombreux enfants et de cohabitions entre générations. Ă l’heure présente 206 logements, 83 à titre principal, 115 à titre secondaire ou occasionnelle et 8 vacantes… En conclusion, dissémination d’une
population limitée dans une multitude de murs et hausse fulgurante des résidences
secondaires, concept n’ayant pris son élan que dans les années 60.
On ne dira jamais assez la violence des mouvements démographiques intervenus en une si mince fraction d’Histoire, de pic en creux, de saturation en délaissement ! On peut espérer que l’étiage soit passé : à la clef, l’espoir d’une reprise apaisée ?
Août 2025