Par Jean Pierre Rozier, ethnologue de la ruralité
Il y a 25 ans, en cette nuit du 27 au 28 décembre 1999, s’était déchaînée sur nos terres la tempête Martin, celle-ci faisant suite à Lothar qui avait ravagé la moitié nord de la France un à deux jours plus tôt.
On a pu parler pour les deux de tempêtes du siècle. Un bilan de 92 morts. Des rafales de vent de 194 kilomètres heure à Royan, de 170 à Paris et de 159 à Clermont, voilà qui en effet n’était pas banal. Quelle désolation sur le pays ! Forêts ravagées, arbres en travers des routes et des voies ferrées, lignes téléphoniques et électriques coupées… Les journalistes y étaient allés de leurs tournures convenues : « millions de foyers plongés dans le noir », « toitures envolées que l’on ne compte plus », « pompiers débordés sous l’urgence ».
Moyennant l’effort des citoyens, la France s’était relevée de ces « bombes cycloniques extra tropicales », de ces « tempêtes hivernales à caractère explosif », et avait repris sa marche. Il en était résulté des carnets de commandes débordants pour les couvreurs, le prix du bois, soumis à l’ardente spéculation, s’était écroulé, à la satisfaction des acheteurs, et, en lisières des forêts, s’étaient entassés durablement d’énormes empilements de troncs, arrosés en abondance à des fins de conservation.
En Artense, ça avait soufflé fort bien entendu, mais en vertu d’on ne sait quelle magie céleste, pour forêts et bâtis, les dégâts avaient été moindres qu’en plaine. Le principal désagrément avait été, dans un contexte de groupes électrogènes rares, la coupure prolongée du « courant ». Dans les étables, retour à la traite des vaches à la main et absence de réfrigération du lait ! Dans les maisons, déconfiture pour les victuailles amoncelées dans les congélateurs !
Les services de la météo, coupables en ces fêtes terminales d’année et de siècle d’avoir eu la tête ailleurs, de n’avoir pas évalué en suffisance la puissance de Lothar, s’étaient rattrapés dès le lendemain pour Martin. Tous aux abris ! Je me souviens que mon beau-frère, dûment alerté, avait téléphoné à mes parents : la tempête arrive, surtout ne sortez pas de la maison, sous aucun prétexte !
On ne reviendra pas sur Bella de fin 2020, dénommée hâtivement tempête, remarquable surtout par les quantités de neige transportées. On esquivera vite le magistral coup de tabac d’octobre 1987 qui avait balayé le nord de la France. On ne s’attardera pas sur les tornades ponctuelles, pas davantage sur les sérieux secouages de mon enfance, par exemple en décembre 1962, quand un vent hurlant derrière les vitres malmenées de nos fenêtres était parvenu une nuit entière à troubler mon sommeil juvénile…
Une fois tout cela expédié, je le proclame haut et fort, et ceux blanchis sous le harnais ne me contrediront point, si Martin n’est pas à jeter aux oubliettes, loin de là, la plus terrible, la plus enragée des tempêtes a déferlé sur nos montagnes les 7 et 8 novembre 1982 !
Une race de vent aux odeurs de fin d’automne cévenol, bouffées accourues d’un sud à sud-est résolu, extraites d’une Méditerranée houleuse et enfiévrée sans connivence avec l’atmosphère atlantique : vent d’autan dirait-on aujourd’hui, référence faite à de récents et musclés coups de balai ! Une tempête dépourvue de nom, signe d’une époque, mais si intensément ravageuse…
Des forêts de résineux anéantis par enfilades sur les plats, les creux et les bosses du terrain, au gré des prises au vent et des courants d’air, cela guidé par les lois secrètes d’une science de ventilation et d’aérodynamisme ! Un massacre sur les plantations serrées d’épicéas, hors-sol presque, datant d’une après-guerre planteuse en masse, ainsi sur les mornes étendues de Briffons, de Tortebesse, en rive droite de Dordogne… Arbres déracinés ou brisés, c’est selon, mis à terre comme d’un coup de doigt l’on ferait pour des alignements de dominos. Les forestiers avaient nettoyé ce méli-mélo enchevêtré, avaient replanté et, aux jours présents, après 42 ans, la moitié d’une vie d’homme il est vrai, des coupes d’éclaircie ont déjà eu lieu.
Les arbres à feuilles, bien que délivrés de leurs parures depuis une quinzaine de jours, donc moins vulnérables, avaient néanmoins dégusté, les hêtres davantage que les frênes. Mon père n’avait pas à demeurer longtemps derrière la lucarne de son pourtanè d’étable pour voir tel ou tel arbre isolé se pencher sous l’assaut, renoncer à résister et se coucher vaincu avec, attaché à son pied, le paquet terreux de ses racines. Pour sûr, on avait eu du bois de chauffage à disposition pour une palanquée d’hivers !
Sur les toitures des bâtiments de ferme, beaucoup de ceux-ci datant de près de cent ans, nombre d’ardoises, amarrées aux planches des charpentes par des pointes rouillées, avaient lâché prise. Avec force échelles et encordements, fréquemment les agriculteurs les avaient d’eux-mêmes remises en place, mais le simple fait de se mouvoir là-haut sur la pente raide, déclenchait de nouvelles hécatombes, ce malgré des précautions de chats de gouttières…
Au cours de la décennie suivante, s’était imposée à maintes reprises la nécessité de passer commande d’entières réfections aux couvreurs de profession, et sans doute trouvait-on là, pour partie du moins, la raison d’effets atténués en 1999. Le vent s’était heurté à des toits mieux amarrés, comme il avait trouvé face à lui des arbres bien campés, les plus frêles ayant été abattus par ses soins 17 ans plus tôt.
Cela étant, je persiste quant au degré d’intensité de la tempête de 82 sur notre petit pays ! Mon père m’avait raconté abondamment les grandes sécheresses, aussi les froids intenses et les orages tonitruants qui avaient jalonné sa vie, mais, concernant les vents de désastre, il y avait un blanc. Pas d’antécédent donc sur sa vie d’homme. Remontant plus loin, les archives de la météo sont quant à elles fort loquaces sur des épisodes de vagues monstrueuses et de bateaux en détresse, mais ne font pas état de souffles apocalyptiques sur nos monts…
On en conclut, sauf démonstration contraire, que jamais le cuir chevelu de l’Artense n’avait subi un si violent coup de peigne par un Eole de folie qu’en ce mois de novembre 1982. Et jamais depuis il n’en a subi de pareil !
(Décembre 2024)
On a pu parler pour les deux de tempêtes du siècle. Un bilan de 92 morts. Des rafales de vent de 194 kilomètres heure à Royan, de 170 à Paris et de 159 à Clermont, voilà qui en effet n’était pas banal. Quelle désolation sur le pays ! Forêts ravagées, arbres en travers des routes et des voies ferrées, lignes téléphoniques et électriques coupées… Les journalistes y étaient allés de leurs tournures convenues : « millions de foyers plongés dans le noir », « toitures envolées que l’on ne compte plus », « pompiers débordés sous l’urgence ».
Moyennant l’effort des citoyens, la France s’était relevée de ces « bombes cycloniques extra tropicales », de ces « tempêtes hivernales à caractère explosif », et avait repris sa marche. Il en était résulté des carnets de commandes débordants pour les couvreurs, le prix du bois, soumis à l’ardente spéculation, s’était écroulé, à la satisfaction des acheteurs, et, en lisières des forêts, s’étaient entassés durablement d’énormes empilements de troncs, arrosés en abondance à des fins de conservation.
En Artense, ça avait soufflé fort bien entendu, mais en vertu d’on ne sait quelle magie céleste, pour forêts et bâtis, les dégâts avaient été moindres qu’en plaine. Le principal désagrément avait été, dans un contexte de groupes électrogènes rares, la coupure prolongée du « courant ». Dans les étables, retour à la traite des vaches à la main et absence de réfrigération du lait ! Dans les maisons, déconfiture pour les victuailles amoncelées dans les congélateurs !
Les services de la météo, coupables en ces fêtes terminales d’année et de siècle d’avoir eu la tête ailleurs, de n’avoir pas évalué en suffisance la puissance de Lothar, s’étaient rattrapés dès le lendemain pour Martin. Tous aux abris ! Je me souviens que mon beau-frère, dûment alerté, avait téléphoné à mes parents : la tempête arrive, surtout ne sortez pas de la maison, sous aucun prétexte !
On ne reviendra pas sur Bella de fin 2020, dénommée hâtivement tempête, remarquable surtout par les quantités de neige transportées. On esquivera vite le magistral coup de tabac d’octobre 1987 qui avait balayé le nord de la France. On ne s’attardera pas sur les tornades ponctuelles, pas davantage sur les sérieux secouages de mon enfance, par exemple en décembre 1962, quand un vent hurlant derrière les vitres malmenées de nos fenêtres était parvenu une nuit entière à troubler mon sommeil juvénile…
Une fois tout cela expédié, je le proclame haut et fort, et ceux blanchis sous le harnais ne me contrediront point, si Martin n’est pas à jeter aux oubliettes, loin de là, la plus terrible, la plus enragée des tempêtes a déferlé sur nos montagnes les 7 et 8 novembre 1982 !
Une race de vent aux odeurs de fin d’automne cévenol, bouffées accourues d’un sud à sud-est résolu, extraites d’une Méditerranée houleuse et enfiévrée sans connivence avec l’atmosphère atlantique : vent d’autan dirait-on aujourd’hui, référence faite à de récents et musclés coups de balai ! Une tempête dépourvue de nom, signe d’une époque, mais si intensément ravageuse…
Des forêts de résineux anéantis par enfilades sur les plats, les creux et les bosses du terrain, au gré des prises au vent et des courants d’air, cela guidé par les lois secrètes d’une science de ventilation et d’aérodynamisme ! Un massacre sur les plantations serrées d’épicéas, hors-sol presque, datant d’une après-guerre planteuse en masse, ainsi sur les mornes étendues de Briffons, de Tortebesse, en rive droite de Dordogne… Arbres déracinés ou brisés, c’est selon, mis à terre comme d’un coup de doigt l’on ferait pour des alignements de dominos. Les forestiers avaient nettoyé ce méli-mélo enchevêtré, avaient replanté et, aux jours présents, après 42 ans, la moitié d’une vie d’homme il est vrai, des coupes d’éclaircie ont déjà eu lieu.
Les arbres à feuilles, bien que délivrés de leurs parures depuis une quinzaine de jours, donc moins vulnérables, avaient néanmoins dégusté, les hêtres davantage que les frênes. Mon père n’avait pas à demeurer longtemps derrière la lucarne de son pourtanè d’étable pour voir tel ou tel arbre isolé se pencher sous l’assaut, renoncer à résister et se coucher vaincu avec, attaché à son pied, le paquet terreux de ses racines. Pour sûr, on avait eu du bois de chauffage à disposition pour une palanquée d’hivers !
Sur les toitures des bâtiments de ferme, beaucoup de ceux-ci datant de près de cent ans, nombre d’ardoises, amarrées aux planches des charpentes par des pointes rouillées, avaient lâché prise. Avec force échelles et encordements, fréquemment les agriculteurs les avaient d’eux-mêmes remises en place, mais le simple fait de se mouvoir là-haut sur la pente raide, déclenchait de nouvelles hécatombes, ce malgré des précautions de chats de gouttières…
Au cours de la décennie suivante, s’était imposée à maintes reprises la nécessité de passer commande d’entières réfections aux couvreurs de profession, et sans doute trouvait-on là, pour partie du moins, la raison d’effets atténués en 1999. Le vent s’était heurté à des toits mieux amarrés, comme il avait trouvé face à lui des arbres bien campés, les plus frêles ayant été abattus par ses soins 17 ans plus tôt.
Cela étant, je persiste quant au degré d’intensité de la tempête de 82 sur notre petit pays ! Mon père m’avait raconté abondamment les grandes sécheresses, aussi les froids intenses et les orages tonitruants qui avaient jalonné sa vie, mais, concernant les vents de désastre, il y avait un blanc. Pas d’antécédent donc sur sa vie d’homme. Remontant plus loin, les archives de la météo sont quant à elles fort loquaces sur des épisodes de vagues monstrueuses et de bateaux en détresse, mais ne font pas état de souffles apocalyptiques sur nos monts…
On en conclut, sauf démonstration contraire, que jamais le cuir chevelu de l’Artense n’avait subi un si violent coup de peigne par un Eole de folie qu’en ce mois de novembre 1982. Et jamais depuis il n’en a subi de pareil !
(Décembre 2024)