Par Jean Pierre Rozier, ethnologue de la ruralité
Alain Lenaud, aidé de son épouse Evelyne pour les recherches en archives, a publié en l’an 2000 un livret fort judicieux sur l’histoire de Cros. Un chapitre est consacré au nouveau cimetière. Atteint d’une petite flemme d’avant Toussaint, j’en reprends ici la substance…
En 1889, le maire Antoine Aubert donne lecture au conseil municipal d’une lettre du sous-préfet qui lui demande de délibérer sur une pétition signée par vingt-cinq habitants. Cette pétition monte au créneau face à l’état déplorable du cimetière situé en plein centre du bourg, dans l’ombre de l’église. Les pétitionnaires mettent en exergue qu’il est étriqué, pas surveillé, que les cochons et les oies en ont fait leur repaire, ils ajoutent qu’on y déterre les morts « à peine consumés » pour les mettre dans une fosse commune, toutes choses allant à l’encontre de l’hygiène publique. La mise en place d’un cimetière fonctionnel en dehors du bourg est demandée, avec transport du contenu de l’ancien, du moins pour l’essentiel...
La municipalité renâcle, d’autant plus que nombre de signataires habitent en des communes voisines. Voici la réponse, bien troussée et narquoise, faite par le maire au sous-préfet… « Il y a des siècles qu’on enterre les morts de Cros dans ledit cimetière et personne à ce jour n’a fait mention de telles abominations. Les voisins qui ont construit des maisons à quelques mètres du cimetière, depuis dix ou vingt ans, n’ont jamais élevé une protestation auprès de la mairie. De plus, notre cimetière est environné de murs ayant au moins cinq pieds de hauteur ; les paisibles cochons de la commune n’auront jamais l’adresse de sauter cette hauteur ! Si un animal s’y glisse, c’est parce qu’on a mal refermé la porte ».
Et de poursuivre… « La commune de Cros n’a jamais souffert d’épidémies dues au cimetière. La santé des habitants est aussi bonne que dans n’importe quel endroit de l’arrondissement. Le déplacement du cimetière déplairait à la grande majorité de la population, de plus la commune doit ménager ses ressources, vu qu’elle paye des locations pour la mairie et les écoles… Une étude que j’ai demandée à un architecte signale que les frais de translation du cimetière entraineraient une dépense de plus de 10 000 francs que le budget de Cros ne pourrait couvrir ! »
On en était resté là, dossier en berne, et sans doute le sous-préfet zélé s’était vu proposé une affectation à sa mesure… Mais c’est le maire, toujours Aubert, solide au poste, cultivateur de son état au village de La Tartière, qui de son chef remet le couvert devant son Conseil en 1911 : il faut trouver un lieu de terre saine, d’un accès « que n’encombrent point les congères aux mois d’hiver ».
Sur la route qui s’épanche en pente douce vers Bort, deux terrains se déclarant à l’abri des virulences de l’écir sont jugés admissibles, et les propriétaires sont dans de bonnes dispositions quant à la vente. M. Picard, architecte à Bagnols, établit plans et devis, ceux-ci validés par sous-préfecture et préfecture, mais aucune aide publique ne sera allouée. Côté finances, il faudra se débrouiller !
L’achat des terrains, les travaux et les frais divers sont évalués à 10 250 francs. Le recours à un financement externe est nécessaire, ce sera un emprunt sur trente ans à 4,15 % auprès du Crédit Foncier de France. Les sommes en provenance des concessions octroyées abonderont les recettes ; ces concessions, trois mètres de long sur deux de large, seront à perpétuité, trentenaires, voire temporaires… Quant aux frais de transfert des cercueils et pierres tombales du cimetière ancien jusqu’au neuf, ils seront à la charge des familles. Pour sa part, le curé de la paroisse obtient qu’une partie de la terre sacrée tapissant l’ancienne aire du repos des morts soit transportée sur la nouvelle. L’entrepreneur choisi, Authier, termine les travaux en plein milieu de guerre, en 1916.
Quels enseignements en tirer ? Comme souvent, maire et conseillers municipaux, entravés par un pesant conservatisme à leurs basques, s’étaient d’abord opposés au changement, et puis l’irrémédiable marche des ans avait conditionné les esprits à une évolution. Au final, le maire, de sa propre initiative, avait engagé la procédure, car hormis les aspects touchant à la salubrité, il fallait composer avec l’inéluctable pression de la mortalité. Crémation hors sujet, les cercueils se bousculaient, entre 15 et 20 décès par an sur la commune qui comptait alors 800 habitants, auxquels il convenait d’ajouter les dépouilles de ceux ayant vécu ailleurs mais ayant fait choix de passer leur sommeil éternel au creux des rassurantes tombes familiales.
Au début des années 1900, les migrations extra-muros des cimetières touchaient à leurs fins, sachant que les localités d’importance avaient réalisé l’opération bien avant. L’on doit noter les exceptions de Saint-Pardoux et Murat-le-Quaire. En ce dernier lieu, plusieurs de mes collatéraux Rozier, dont les lointains ancêtres venaient de Tauves, sont enterrés en des caveaux de peu d’embarras qui se confondent avec l’univers minéral des murs d’habitations et d’église. Pour ces deux localités, les choses sont restées en l’état, les trop-pleins mortuaires se trouvant absorbés dans un cas par le cimetière de La Tour, dans l’autre par un endroit d’appoint.
A Cros, il était bien précisé que l’emplacement nouveau se devait d’être à distance calculée du bourg, ni trop proche ni trop à l’écart.
Remarquons qu’un éloignement significatif, s’il s’avère déplaisant aux enterrements par temps de chien, se montre bénéfique par météo clémente. On y suit le trépassé à pas tranquilles, on se laisse couler d’un groupe à un autre pour un ping-pong verbal ayant l’audace de dépasser les formules de circonstance !
En mars dernier, j’ai assisté aux funérailles de ma chère tante Yvette, ultime représentante de la génération de mes parents, parvenue à un âge respectable. De l’église de Labessette à son humble cimetière, s’allonge une bonne trotte… Par un soleil rayonnant, dans l’atmosphère câline, les discussions avaient filé bon train sur le gravier de la route, ça avait aussi lambiné aux pieds gazonnés des caveaux puis au retour, avant les consolations du ventre offertes en mairie. Yvette, si douée en relations publiques, s’en était réjouie, du moins son âme qu’on avait senti planer sur nous !
Octobre 2024
En 1889, le maire Antoine Aubert donne lecture au conseil municipal d’une lettre du sous-préfet qui lui demande de délibérer sur une pétition signée par vingt-cinq habitants. Cette pétition monte au créneau face à l’état déplorable du cimetière situé en plein centre du bourg, dans l’ombre de l’église. Les pétitionnaires mettent en exergue qu’il est étriqué, pas surveillé, que les cochons et les oies en ont fait leur repaire, ils ajoutent qu’on y déterre les morts « à peine consumés » pour les mettre dans une fosse commune, toutes choses allant à l’encontre de l’hygiène publique. La mise en place d’un cimetière fonctionnel en dehors du bourg est demandée, avec transport du contenu de l’ancien, du moins pour l’essentiel...
La municipalité renâcle, d’autant plus que nombre de signataires habitent en des communes voisines. Voici la réponse, bien troussée et narquoise, faite par le maire au sous-préfet… « Il y a des siècles qu’on enterre les morts de Cros dans ledit cimetière et personne à ce jour n’a fait mention de telles abominations. Les voisins qui ont construit des maisons à quelques mètres du cimetière, depuis dix ou vingt ans, n’ont jamais élevé une protestation auprès de la mairie. De plus, notre cimetière est environné de murs ayant au moins cinq pieds de hauteur ; les paisibles cochons de la commune n’auront jamais l’adresse de sauter cette hauteur ! Si un animal s’y glisse, c’est parce qu’on a mal refermé la porte ».
Et de poursuivre… « La commune de Cros n’a jamais souffert d’épidémies dues au cimetière. La santé des habitants est aussi bonne que dans n’importe quel endroit de l’arrondissement. Le déplacement du cimetière déplairait à la grande majorité de la population, de plus la commune doit ménager ses ressources, vu qu’elle paye des locations pour la mairie et les écoles… Une étude que j’ai demandée à un architecte signale que les frais de translation du cimetière entraineraient une dépense de plus de 10 000 francs que le budget de Cros ne pourrait couvrir ! »
On en était resté là, dossier en berne, et sans doute le sous-préfet zélé s’était vu proposé une affectation à sa mesure… Mais c’est le maire, toujours Aubert, solide au poste, cultivateur de son état au village de La Tartière, qui de son chef remet le couvert devant son Conseil en 1911 : il faut trouver un lieu de terre saine, d’un accès « que n’encombrent point les congères aux mois d’hiver ».
Sur la route qui s’épanche en pente douce vers Bort, deux terrains se déclarant à l’abri des virulences de l’écir sont jugés admissibles, et les propriétaires sont dans de bonnes dispositions quant à la vente. M. Picard, architecte à Bagnols, établit plans et devis, ceux-ci validés par sous-préfecture et préfecture, mais aucune aide publique ne sera allouée. Côté finances, il faudra se débrouiller !
L’achat des terrains, les travaux et les frais divers sont évalués à 10 250 francs. Le recours à un financement externe est nécessaire, ce sera un emprunt sur trente ans à 4,15 % auprès du Crédit Foncier de France. Les sommes en provenance des concessions octroyées abonderont les recettes ; ces concessions, trois mètres de long sur deux de large, seront à perpétuité, trentenaires, voire temporaires… Quant aux frais de transfert des cercueils et pierres tombales du cimetière ancien jusqu’au neuf, ils seront à la charge des familles. Pour sa part, le curé de la paroisse obtient qu’une partie de la terre sacrée tapissant l’ancienne aire du repos des morts soit transportée sur la nouvelle. L’entrepreneur choisi, Authier, termine les travaux en plein milieu de guerre, en 1916.
Quels enseignements en tirer ? Comme souvent, maire et conseillers municipaux, entravés par un pesant conservatisme à leurs basques, s’étaient d’abord opposés au changement, et puis l’irrémédiable marche des ans avait conditionné les esprits à une évolution. Au final, le maire, de sa propre initiative, avait engagé la procédure, car hormis les aspects touchant à la salubrité, il fallait composer avec l’inéluctable pression de la mortalité. Crémation hors sujet, les cercueils se bousculaient, entre 15 et 20 décès par an sur la commune qui comptait alors 800 habitants, auxquels il convenait d’ajouter les dépouilles de ceux ayant vécu ailleurs mais ayant fait choix de passer leur sommeil éternel au creux des rassurantes tombes familiales.
Au début des années 1900, les migrations extra-muros des cimetières touchaient à leurs fins, sachant que les localités d’importance avaient réalisé l’opération bien avant. L’on doit noter les exceptions de Saint-Pardoux et Murat-le-Quaire. En ce dernier lieu, plusieurs de mes collatéraux Rozier, dont les lointains ancêtres venaient de Tauves, sont enterrés en des caveaux de peu d’embarras qui se confondent avec l’univers minéral des murs d’habitations et d’église. Pour ces deux localités, les choses sont restées en l’état, les trop-pleins mortuaires se trouvant absorbés dans un cas par le cimetière de La Tour, dans l’autre par un endroit d’appoint.
A Cros, il était bien précisé que l’emplacement nouveau se devait d’être à distance calculée du bourg, ni trop proche ni trop à l’écart.
Remarquons qu’un éloignement significatif, s’il s’avère déplaisant aux enterrements par temps de chien, se montre bénéfique par météo clémente. On y suit le trépassé à pas tranquilles, on se laisse couler d’un groupe à un autre pour un ping-pong verbal ayant l’audace de dépasser les formules de circonstance !
En mars dernier, j’ai assisté aux funérailles de ma chère tante Yvette, ultime représentante de la génération de mes parents, parvenue à un âge respectable. De l’église de Labessette à son humble cimetière, s’allonge une bonne trotte… Par un soleil rayonnant, dans l’atmosphère câline, les discussions avaient filé bon train sur le gravier de la route, ça avait aussi lambiné aux pieds gazonnés des caveaux puis au retour, avant les consolations du ventre offertes en mairie. Yvette, si douée en relations publiques, s’en était réjouie, du moins son âme qu’on avait senti planer sur nous !
Octobre 2024