Co - construire ensemble un avenir durable pour le territoire de l'Artense




30. Truffade à tout-va


Par Jean Pierre Rozier, ethnologue de la ruralité

30. Truffade à tout-va
Il n’est pas aisé, en nos restaurants familiers, de trouver à déguster un civet de lapin, un coq au vin, une blanquette de veau, un bœuf bourguignon, une potée aux choux, voire simplement un gigot-flageolets ou un boudin aux pommes…

C’est toute une cuisine de tradition, mijotée aux petits oignons par l’attitré cuistot ou mitonnée avec amour par la patronne accorte qui a levé le camp en peu d’années ! Les raisons, on les connait : des préparations exigeantes, des cuissons de longue haleine pour, en bout de chaine, une clientèle si peu captive qu’il en résulte souvent du gaspillage… Á ce tableau, ajoutez des consommateurs aux goûts s’acoquinant de diététique : les citoyens, et davantage les citoyennes, se défient de plats réputés trop lourds, notamment ceux en sauce !  

Si on laisse de côté les burgers venus du pays de l’Oncle Sam, cet effacement s’est opéré au seul profit de la truffade. Désormais, pas une auberge sans sa truffade à trôner en tête de sa carte, quand elle ne l’a pas colonisée entièrement ! 

Marie-José Verny, au cours des années 80, a été la pionnière en son restaurant La Bergerie de Super-Besse. Celle qui avait débuté sa carrière avec son grand-père à l’Hôtel des Voyageurs de Bagnols peut se targuer d’avoir été la première de notre région à proposer le plat sachant si bien marier pomme de terre et fromage de terroir. 

Afin d’accompagner l’ascension, la sacraliser allais-je dire, une confrérie de la truffade a été créée il y a cinq ans, sur le modèle de la confrérie du Saint-Nectaire ou de celle des Talmeliers du Bon Pain. Baptême en place de Tauves, avec mise en scène et apparat inhérents à ce type de liturgie rabelaisienne. J’ai devant les yeux la photo du bulletin de la mairie qui a immortalisé ce moment fort. Etendards, capes, capelines et rubans font éclater les couleurs tandis qu’au centre de l’image plastronne une immense poêle à paella emplie de l’onctueuse et baveuse substance enue avec ferveur par des truffadoux et truffadouzes intronisés de frais ! 

La recette de base de la truffade, car bon sang il nous faut y venir, tient en peu de mots : éplucher et tailler les pommes de terre en rondelles, les faire sauter à cru et assaisonner d’ail, de sel et de poivre, ajouter la tomme fraiche de Cantal en fin de cuisson, laisser fondre doucement, mélanger à l’aide d’une cuillère en bois et servir aussitôt. Pas si compliqué, encore faut-il avoir le tour de main, celui qui permet le saut gustatif, du quelconque au savoureux ! 

En accompagnement direct, mettre une salade verte, frisée de préférence, et une large tranche de jambon cru qui ne porte pas pour nom Serrano… 

C’est donc au final un assortiment de plats de belle dimension, joliment et abondamment garnis, qui, étalés à leur aise sur la table, emportent par extension le nom de truffade. Une symphonie de tons, de saveurs et de textures, fondantes et craquantes sous la fourchette, moelleuses sous le couteau… Des accordailles réussies entre matières végétales et animales... Une sorte d’idéal pour les tablées vacancières, une manière de self-service où l’on pioche à sa convenance, un éventail ouvert à tous les trocs familiaux : razzia paternelle sur la cochonnaille, salade accaparée par maman lapine et goûteux de stricte truffade apprécié de tous, à commencer par la gaminerie aux dents flemmardes !  

Voilà pour la présentation classique, mais autour que de variantes ! Le restaurateur peut choisir de faire l’impasse sur la verdure, proposer des saucisses à la place du jambon… Surtout, pour le divin mariage avec la pomme de terre, il lui reste la possibilité de substituer à la tomme de Cantal du Saint-Nectaire ou encore, pourquoi pas, du Bleu, de Laqueuille au caractère affirmé ou de fourme d’Ambert d’affinité doucereuse. Après tout, tant qu’il ne s’agit pas de Mimolette ou de Cancoillotte, que l’on ne s’évade pas de la route des frometons AOP de la contrée ! 

Aux tables des auberges, des explications s’avèrent parfois nécessaires aux gens de passage lors de la commande... Non, rien à voir avec la truffe terreuse et pourtant prestigieuse du Périgord, la truffade tire son nom de l’appellation patoisante de la pomme de terre… L’aligot s’honore d’une même composition, mais lui écrase ses patates en purée afin de pouvoir filer plus haut ! Et aucun cousinage, on vous l’assure, avec la tartiflette savoyarde, adepte des oignons et des lardons de pays reblochon !  

La truffade s’est si bien installée dans le paysage gastronomique de l’Artense, son succès est tel que beaucoup de touristes, aussi des autochtones pêchant par leur jeunesse, sont persuadés qu’il s’agit là d’un plat traditionnel… Et d’ailleurs, il semblerait qu’on ne se mette pas en quatre pour les contredire, pour leur expliquer qu’il y a peu la truffade se confinait aux burons des estives à sonnailles du Cantal.  

Á moi, en vieux con de service, d’apporter mes vues ! La truffade, pourquoi pas… Je sais m’en régaler, je ne vais pas cracher dessus : il faut savoir évoluer, sans évolution on en serait encore à manger des raves et des bouillies d’avoine, comme nos ancêtres trois siècles en arrière ! Mais comment ne pas regretter que la vague truffadique ait anéanti la variété culinaire des tables festives de nos enfances ? Il n’y a pas que la biodiversité qui soit en recul, la gastro diversité l’est aussi ! 

Et puis le répéter, pour la vérité historique, nos mères n’utilisaient pas le fromage en cuisine, si ce n’est une pincée d’Emmental rappé projetée sur les nouilles pour la mince couche de gratin. Le fromage, on le mangeait à température ambiante, aux casse-croûtes, aux fins de repas, avec une consistante tranche de couronne de pain, accompagné d’un canon de rouge, neuf degrés au compteur, certifié des plaines du Gard ; on n’avait pas idée de le faire cuire comme vulgaires fayots, lentilles banales ou touffles de tous les jours… 

Á propos de pommes de terre, dans l’affaire elles sont un peu les oubliées. Je n’entends jamais rien sur leurs lieux de récolte… Il serait dommage qu’elles proviennent du pays du Maroilles, cela serait susceptible de casser l’ambiance !                                               
                                                                                                                              Septembre 2024
                                                                

Lu 310 fois


Nouveau commentaire :