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3. Savoir lire le paysage

Résumé : Il est comme un devoir de savoir lire et décrypter le paysage, ceci afin de vivre au mieux le pays, le pays d'Artense avec ses pierres, ses murets, ses chemins et ses frênes. Le faire poétiquement en pensant aux hommes qui l'ont patiemment sculpté ce paysage, sur les siècles passés !


Chronique à paraître dans le volume V des Chroniques d'Artense par Jean - Pierre Rozier

3. Savoir lire le paysage
 On peut vivre en Artense et s’y trouver bien sans sortir de sa maison. Avec les techniques dernier cri de communication, que l’on gite à Cros-la-Tartière ou à Bagnols, on se trouve au centre de l’univers, comme on peut l’être dans l’Oregon ou en Bavière ! On monte dans l’auto pour faire ses courses deux fois par mois à l’Intermarché, on rentre, à peine un regard à la fenêtre, tiens il pleut, tiens il fait beau… Deux pas sur le perron si le temps s’y prête…

Je persiste néanmoins, vivre au pays, c’est le vivre dans sa plénitude, au contact des habitants, en harmonie avec les paysages qu’il est un devoir de savoir lire et traduire… Ces pierres extraites des prés et plus encore des champs cultivés, avoine, seigle, blé noir, lin et chancre, quand l’araire butait contre les durs obstacles de temps glaciaires, pierres portées une à une, roulées à bras, trainées à joug aux frontières des parcelles au long des siècles passés… Les murets de pierres sèches qui se débraillent au fil des ans, mais par miracle telle portion présente un aspect d’inébranlable perfection : l’œuvre de l’un, du cru, qui, mieux que ses compères, avait l’œil et le geste, un artiste… Les chemins d’immémorial refrain entre les pierrailles, chemins cahotants, étroits, et pourtant on s’y faufilait avec le char et son attelage de vaches, et ça secouait, le convoi de foin devait être bien peigné du râteau sur les bords, bien coiffé de sa perche en son toupet, sinon…

Les jonquilles de plus en plus précoces, ce printemps elles avaient courte queue : à mettre sur le compte d’une pluviosité discrète… Les fleurs de genêt d’un jaune si amical, en conflit avec l’âpreté de moutarde forte des colzas de la plaine… Le nid de corbeau ou de pie dans l’arbre, boule de gui dans les branches encore dénuées de feuilles... Une dizaine de jours plus tôt, il n’y avait rien, ils ont bien bossé les piafs, et quelle géniale architecture de brindilles que ne parviendront à démembrer les rafales teigneuses des furies estivales ! Le plus perfectionné des ordinateurs ne saurait pas faire, pas plus qu’il ne serait en capacité de venir en aide au rempailleur de chaises et au poseur de lauzes sur le toit…
     Les frênes que personne ne voit, eux qui sont l’âme et la conscience des lieux, en bornage des prés, en périmètre des habitats…  « Égrainés par hasard au long des chemins creux / sentinelles noires postées près des maisons / vieillards chenus en deuil à la morte saison / témoins perpétuels d’un Artense ombrageux ». Les photos d’antan en portent témoignage : jusqu’aux années cinquante, on retaillait leurs branches à rythme régulier afin de donner leurs feuilles aux vaches, et combien ces dames cornues s’en régalaient ! La pratique s’est étiolée peu à peu, ranimée seulement par les grandes sécheresses, 1964, et… 1976.        

 Observez-les ces frênes, chacun avec sa dégaine et ses blessures particulières ! Les frênes jeunes n’ont pas connu d’amputations au long de leurs troncs, et même si l’été à venir est aride, vous ne verrez pas, tels des singes, des paysans les escalader ! En revanche, les frênes d’âge mûr les ont subies la serpe et la scie : l’on devine des moignons sous la mousse, des repousses, et leurs branches montrent des circonférences inférieures à ce qui serait s’il n’y avait pas eu coupes des mains de l’homme… Sauf exception, 1976 correspond au dernier élagage, il y 46 ans, pour ainsi dire un siècle à moitié ! Les éleveurs élagueurs, ils sont quelques-uns à être encore de ce monde. Et si vous toquiez à la porte de l’aimable Dédé ou de cet ours mal léché d’Anatole, eux les avaient gravis tant et plus, nos arbres emblématiques à tremblotantes folioles, sur les pourtours rabâchés de leurs lopins ! Mon père m’avait montré celui qui lui avait causé tant de frayeurs, en 1949, à l’orée du petit bois sous notre maison de Méjanesse : un vrai mât de cocagne à mi-pente, effilé, si peu de branches à sa base et un bouquet en son sommet… Le vide, un coup de vent, le balancement : tétanisé il avait fait front tout là-haut, était redescendu, muscles cotonneux et cœur près d’exploser !   

Ces bouleaux recourbés au sol par le poids des neiges de tempête Bella, boucles blanches à l’orée des bois sur les terres spongieuses… Et le ciel, mieux que tableaux : la course des nuages, les feux des couchers, le moutonnement d’orages de juin, l’air d’octobre, immobile, mordoré, quand la plaine se noie sous une mer de brume… Aussi les névés à flanc de Sancy, si pressés de fondre aux printemps actuels, traces claires au fond des combes, contours ajustés de par les vents dominants du dernier hiver.

     Restent l’impalpable, l’indicible, le mystère : l’Esprit des Lieux ! « Il s’égaie le long de la Burande, saute par-dessus les siècles et les ponts, d’Arpiat à Clamouze ; il survole les hameaux endormis, les bughes d’herbe rase parsemés de rocs jetés comme grain à volaille par un ogre titanesque ; il plane sur les troupeaux calmes, les coqs des clochers, les hêtraies fraiches ; il flotte sur les jardins sages blottis près des maisons avec leurs groseillers au coin, leurs plants de rhubarbe, leurs rames au cordeau, leurs choux hauts sur pattes ; il dit l’humeur du vent, la palette des senteurs, les lunes nouvelles et pleines recommencées pour l’éternité ; il est, quelque part sur terre, l’émanation de l’Artense, son chant profond, son poème consubstantiel »… Á toi de le capter, à ta manière  !  

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