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26. Les genêts, compagnons fidèles


Par Jean Pierre Rozier, ethnologue de la ruralité

26. Les genêts, compagnons fidèles
Mieux que les jonquilles des prairies déployées en fin de frimas hivernaux, les genêts en fleur sur le pays d’Artense, en mai impétueux, quand l’herbe se résout à se propulser avec frénésie, quel éblouissement ! Et la féérie se prolonge pendant des semaines, infiniment plus que pétales de roses. On entend dire, « c’est le mimosa de nos montagnes » : la formule ne manque ni de vérité ni de joliesse !  

Les genêts aiment les terres ensoleillées. Ils se répandent sur les pacages négligés, leurs jeunes pousses laissés en paix par des ruminants qui ne goutent guère leur âpreté sous la langue… Ils suivent les bordures et les clôtures ou bien se fixent sur les talus des chemins et des routes en compagnie d’une tribu gitane aux froufrous colorés et affriolants, digitales pourpres, euphorbes et joubarbes, autant de zones inaccessibles aux coupantes mécaniques et délaissés des lames manuelles.   

Les jonquilles, pour leur part, optent pour les prés de fauche à terreau humide. Depuis des temps immémoriaux, elles ont jeté leur dévolu sur certaines portions planes qu’elles couvrent à la floraison d’un tapis de coroles au coude à coude. Mais laissons-là les jonquilles qui n’ont de commun avec les fleurs de genêts que leur couleur, un jaune de velouté attendri incarnant la part cordiale des aubes terrestres et que l’on ne retrouve pas chez le trivial pissenlit ni chez l’industriel colza des plaines. (Vous avez remarqué, amis cousus de fine culture et tout autant ennemis des poncifs, qu’à dessein je n’ai pas fait référence au métal précieux dont les lingots servent à couler les médailles des premiers aux Jeux Olympiques !). 

Bien que de tempérament indépendant et rebelle, aux limites des attitudes libertaires, le genêt a toujours su se rendre utile aux hommes. 

Ainsi pour les balais : toutefois pour les nettoiements en force du fumier sur les galets d’étables, on lui préférait les branches fines de bouleau dont on serrait fort les bouquets par du fil de fer avant d’y enfoncer un manche. 

Ainsi pour allumer le feu… Me reviennent par je ne sais quelle magie mémorielle d’avant mes langes les images de petits vieux fagotant sur l’herbe roussie de fin d’hiver laissée à nue par la neige en déroute, ceci afin d’alimenter les fours à pain villageois… Ă la ferme, nous avions toujours sous le hangar des fagots en attente. Au matin, pour mettre le poêle en route, on mettait en empilement léger une feuille de journal, des brins de genêt, des « brechous » puis des bûches plus consistantes : on craquait une allumette là-dessous, et ça démarrait à tous les coups, même venant d’une main peu experte comme la mienne.

Les genêts, vous ne l’imaginez pas autrement, sont tolérants, pas pudibonds pour un sou... Cachette idéale pour nos jeunes chagrins / Gousses d’été craquantes dans l’air cristallin / Ils offraient l’automne protection maternelle / Aux parapluies géants des hautes coulemelles… Leur bienveillance, pour ne rien dissimuler, allait jusqu’à accueillir en leurs fourrés secrets les ébats amoureux, ceux des bêtes, aussi ceux des humains, ces derniers souvent adultérins, aux confins rougeoyants des fourches de l’enfer, mais sur lesquels l’abbé consentait à passer une éponge compréhensive au confessionnal !  

Cela étant, les genêts, modèles de vigueur, bourrés d’instinct de vie, avaient tendance à se montrer conquérants à l’excès et, à l’égal des portées de chatons, mieux valait de temps en temps se résoudre à prendre des dispositions draconiennes.  

Le remembrement nous avait attribué un pacage non loin de l’étable, mais qui présentait l’aspect d’un maquis corse où l’on perdait de vue les vaches en quête d’une herbe chiche étouffée par la toison. Pendant des mois, avec mon père, on avait coupé à ras de terre des tiges grosses comme nos poignets, et le sécateur ne pouvant y suffire, on avait fait appel à la serpe aiguisée, serpe courante en fer commun et non serpe de Panoramix en métal précédemment évoqué à mot couvert !   

On ne pouvait les consommer tous, ces genêts, pour allumer notre feu, quant aux fours à pain c’était déjà du folklore, alors sous les amas, bosses opulentes gonflées de leurs cadavres en voie de desséchement, on avait fait jaillir les flammes… Cette surface, renforcée par tant et tant d’années de jachère, s’épanouit aujourd’hui en produisant foin, regain, voire troisième coupe qui font l’admiration. 

Je me souviens encore, nous étions en 1973, d’une autre bughe, prise en location sous la route de Tauves, pareillement envahie, et là, les maisons étant éloignées, en ce mois de mars sahélien, on avait carrément mis le feu à l’herbe brulot : la parcelle s’était embrasée en un éclair, faisant monter au ciel de lugubres volutes de fumée visibles des lieues à la ronde. 

Le genêt ne vit pas très vieux, il est de la race des arbustes et non des patriarches, jamais il ne fera de l’ombre aux frênes et aux fayards. Il finit par s’étioler sitôt atteint une certaine taille, deux ou trois mètres, ou c’est le gel qui lui porte le coup fatal, par exemple en ces terrifiants hivers de 1956 et 1963. Mais dans tous les cas il renaît, son endurance à toute épreuve étant assurée par ses graines en terre et son système racinaire. Comme il est dit pour les tardigrades du règne animal, il ne craint guère l’apocalypse !  

Chaque plante a ses propriétés médicamenteuses. Le genêt, dont je fais ici l’éloge résolu alors que trop d’habitants le réduisent à un chiendent herbager frayant avec la société douteuse des fougères accapareuses et des ronces crocheteuses, n’échappe pas à la règle. Il est reconnu, ce ne sont pas vétilles, pour ses vertus contre l’insuffisance cardiaque, les troubles circulatoires, les varices et aussi, en application cutanée, pour ses capacités à adoucir les effets des morsures de vipères...  

Dans un registre similaire, un vieil habitant de Chastreix racontait comment, quand il était petit, sa grand-mère lui avait soigné une mauvaise plaie à la jambe. Elle avait mis les cendres de genêts brûlés dans un sac de toile, elle avait fait bouillir, et l’eau d’infusion appliquée sur la meurtrissure avait permis une guérison qu’aucun médecin n’aurait pu imaginer si rapide ! 

                                                                                                                                     Mai 2024

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