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24. ​Toute la grâce des images d’enfance


Par Jean Pierre Rozier, ethnologue de la ruralité

24. ​Toute la grâce des images d’enfance
Mars, le retour des poètes ! Lecteurs bienveillants, vous aviez eu l’an passé l’amabilité ne pas jeter aux orties mes vers de mirliton d’un genre très démonstratif… 

Allez, que déboule à nouveau en alexandrins, dans une envolée de galoches, la grâce d’images surgies de nos aubes pastorales : herbe sous le vent, chiens en goguette, hirondelles à leurs fils, bohémiens sur la route, épinette d’éternité sur la bughe, mémé à sa besogne et pépé à la mémoire chancelante !

Herbe :

On disait c’est trop sec, on disait c’est trop froid / Ça pousse pas, souvent paysan s’apitoie ! / Et puis tout explosait du jour au lendemain / Le végétal couvrait clôtures et chemins / Je voyais du collège aux heures indécises / La grande nappe verte onduler sous la brise / Les vagues roulantes creusaient l’herbe profonde / Au fond des prés la houle propageait ses ondes.

Entre fleurs et graines les foins étaient à point / Les vacances couvaient sous le zénith de juin / Au pourtour des maisons on aiguisait les faux / Les moteurs Bernard alors lâchaient leurs chevaux / Lors des étés brûlants, au quatorze juillet / Le labeur était clos, mais les années mouillées / De fenières désolées prostrées sous la pluie / La fenaison durait au-delà de Saint-Louis.

De nos jours, dans leur jus, on broie les graminées / Au clair du solstice tous les prés sont fanés / Signe d’un temps par vitesse et tension bénit / Avant de commencer on veut avoir fini ! 

Chiens :

De chasse ou de berger, corniauds le plus souvent / Sans collier, sans niche, libres sous le grand vent / Truffes frémissantes que toute odeur chatouille / En zigzags ils couvraient leur zone de vadrouille.

Les mâles fuguaient pour de naturels besoins / De courtoises liaisons les entraînaient au loin / Ils revenaient fourbus, amaigris, tout penauds / Avalaient soupe froide en reluquant les os.

Enfants pareils aux chiens nous étions sauvageons / Rugueux, durs à cuire, rétifs aux conventions / Pitance on mangeait, geindre n’était pas de mode / Ceux qui ont survécu n’ont pas changé de code !

Hirondelles : 

Ailes fines zébrant le ciel bleu matinal / Boussoles des saisons envoyées de l’astral / En habit de curé sur les fils électriques / Dans nos rêves d’enfants elles étaient magiques !

Leurs parcours migratoires agitaient nos songes / Arrivées du Mali, vérité ou mensonge ? / Aux grands chantiers de mai succédaient les couvées / Et des becs voraces tendus vers les becquées. 

Les beaux nids en pisé des maçonnes ardentes / Fourmillaient sous les toits, égayaient les charpentes / La chimie a gagné, ils ont enfoui les câbles / Il ne reste qu’un couple installé dans l’étable ! 

Bohémiens : 

Un trot sur la route, voilà une roulotte ! / Ă l’abri les enfants, enfermez-vous bigotes ! / Juché sur un vieux pneu traîné dans la descente / Un souple bohémien soulageait Rossinante / Si l’attelage faisait halte au communal / Il trouvait là en sorte un camping idéal / Un repaire à hérissons qu’embaumait l’osier / Où contents les gitans pouvaient tresser paniers.

Le matin à l’école, on laissait une place / Ă des chats effrontés, noirauds, en fond de classe / Leurs yeux ensorceleurs et leur odeur sauvage / Inspiraient aux hardis des désirs de voyage / Le jour d’après revenait le cours ordinaire / L’équipage avait fui la peste sédentaire / La bonne aventure les avait embarqués / Résignés nous restions attachés au piquet.

Ēpinette :

Tellement immobile, ancrée au paysage / Adepte d’un temps lent, détachée des présages / Un air de savane pour un cœur d’olivier / Sur sa peau d’éléphant se lustrent des colliers.  

Mémé :

Elle veut bouter dehors le minet chapardeur / Il glisse entre ses pieds, renverse un pot de fleurs / Strident, le téléphone interrompt net la chasse / L’occasion est propice aux canines voraces… / Le chapelet des jours doucement se dévide / S’accompagnant ainsi d’évènements mineurs / Le compagnon de vie repose en cieux candides / L’étable désertée se languit des rumeurs.

Laborieuse fourmi de l’aube au crépuscule / Sans trêve elle se hâte de son pas minuscule / Nourrir poules et lapins, maintenir la maison / Gardent corps en éveil, protègent la raison. 

Les jardins au printemps sont décisive affaire / Mais ça ne vient pas, la récolte sera maigre / Sur ces terres à volcans d’exposition polaire / Gorgées de pluie, balayées d’une bise aigre.

Silhouette penchée dévastée par l’usure / Quatre-vingts ans et plus ont vrillé l’ossature / Se rogne au gré des ans son domaine d’action / Elle n’ira plus courir après les mousserons.  

Pépé :

Son théâtre de vingt ans se déroule en clair / Quand le matin se confond avec l’avant-hier / Il boutonne le mardi avec mercredi / Ses enfants retraités n’ont toujours pas grandi ! 
                                                                                                                                 

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1.Posté par Lenaud le 27/03/2024 18:51 (depuis mobile) | Alerter
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Quel talent de poète Jean Pierre que je découvre avec joie.
Le compteur du nombre de clicks sur cette page
du webmag hp&t va exploser.

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