Par Jean Pierre Rozier, ethnologue de la ruralité
Mars, le retour des poètes ! Lecteurs bienveillants, vous aviez eu l’an passé l’amabilité ne pas jeter aux orties mes vers de mirliton d’un genre très démonstratif…
Allez, que déboule à nouveau en alexandrins, dans une envolée de galoches, la grâce d’images surgies de nos aubes pastorales : herbe sous le vent, chiens en goguette, hirondelles à leurs fils, bohémiens sur la route, épinette d’éternité sur la bughe, mémé à sa besogne et pépé à la mémoire chancelante !
Herbe :
On disait c’est trop sec, on disait c’est trop froid / Ça pousse pas, souvent paysan s’apitoie ! / Et puis tout explosait du jour au lendemain / Le végétal couvrait clôtures et chemins / Je voyais du collège aux heures indécises / La grande nappe verte onduler sous la brise / Les vagues roulantes creusaient l’herbe profonde / Au fond des prés la houle propageait ses ondes.
Entre fleurs et graines les foins étaient à point / Les vacances couvaient sous le zénith de juin / Au pourtour des maisons on aiguisait les faux / Les moteurs Bernard alors lâchaient leurs chevaux / Lors des étés brûlants, au quatorze juillet / Le labeur était clos, mais les années mouillées / De fenières désolées prostrées sous la pluie / La fenaison durait au-delà de Saint-Louis.
De nos jours, dans leur jus, on broie les graminées / Au clair du solstice tous les prés sont fanés / Signe d’un temps par vitesse et tension bénit / Avant de commencer on veut avoir fini !
Chiens :
De chasse ou de berger, corniauds le plus souvent / Sans collier, sans niche, libres sous le grand vent / Truffes frémissantes que toute odeur chatouille / En zigzags ils couvraient leur zone de vadrouille.
Les mâles fuguaient pour de naturels besoins / De courtoises liaisons les entraînaient au loin / Ils revenaient fourbus, amaigris, tout penauds / Avalaient soupe froide en reluquant les os.
Enfants pareils aux chiens nous étions sauvageons / Rugueux, durs à cuire, rétifs aux conventions / Pitance on mangeait, geindre n’était pas de mode / Ceux qui ont survécu n’ont pas changé de code !
Hirondelles :
Ailes fines zébrant le ciel bleu matinal / Boussoles des saisons envoyées de l’astral / En habit de curé sur les fils électriques / Dans nos rêves d’enfants elles étaient magiques !
Leurs parcours migratoires agitaient nos songes / Arrivées du Mali, vérité ou mensonge ? / Aux grands chantiers de mai succédaient les couvées / Et des becs voraces tendus vers les becquées.
Les beaux nids en pisé des maçonnes ardentes / Fourmillaient sous les toits, égayaient les charpentes / La chimie a gagné, ils ont enfoui les câbles / Il ne reste qu’un couple installé dans l’étable !
Bohémiens :
Un trot sur la route, voilà une roulotte ! / Ă l’abri les enfants, enfermez-vous bigotes ! / Juché sur un vieux pneu traîné dans la descente / Un souple bohémien soulageait Rossinante / Si l’attelage faisait halte au communal / Il trouvait là en sorte un camping idéal / Un repaire à hérissons qu’embaumait l’osier / Où contents les gitans pouvaient tresser paniers.
Le matin à l’école, on laissait une place / Ă des chats effrontés, noirauds, en fond de classe / Leurs yeux ensorceleurs et leur odeur sauvage / Inspiraient aux hardis des désirs de voyage / Le jour d’après revenait le cours ordinaire / L’équipage avait fui la peste sédentaire / La bonne aventure les avait embarqués / Résignés nous restions attachés au piquet.
Ēpinette :
Tellement immobile, ancrée au paysage / Adepte d’un temps lent, détachée des présages / Un air de savane pour un cœur d’olivier / Sur sa peau d’éléphant se lustrent des colliers.
Mémé :
Elle veut bouter dehors le minet chapardeur / Il glisse entre ses pieds, renverse un pot de fleurs / Strident, le téléphone interrompt net la chasse / L’occasion est propice aux canines voraces… / Le chapelet des jours doucement se dévide / S’accompagnant ainsi d’évènements mineurs / Le compagnon de vie repose en cieux candides / L’étable désertée se languit des rumeurs.
Laborieuse fourmi de l’aube au crépuscule / Sans trêve elle se hâte de son pas minuscule / Nourrir poules et lapins, maintenir la maison / Gardent corps en éveil, protègent la raison.
Les jardins au printemps sont décisive affaire / Mais ça ne vient pas, la récolte sera maigre / Sur ces terres à volcans d’exposition polaire / Gorgées de pluie, balayées d’une bise aigre.
Silhouette penchée dévastée par l’usure / Quatre-vingts ans et plus ont vrillé l’ossature / Se rogne au gré des ans son domaine d’action / Elle n’ira plus courir après les mousserons.
Pépé :
Son théâtre de vingt ans se déroule en clair / Quand le matin se confond avec l’avant-hier / Il boutonne le mardi avec mercredi / Ses enfants retraités n’ont toujours pas grandi !