Par Jean Pierre Rozier, ethnologue de la ruralité
Je ne fais pas que surfer sur la vague d’une mode récente, j’aime les arbres, et je crois que ce goût s’amplifie avec les ans qui blanchissent mon poil et burinent ma couenne ! Je revendique ma passion pour tous ces sans-grade qui couvrent notre campagne, les solitaires qui s’égrènent au vent des zones de liberté davantage que les grégaires qui se serrent les troncs dans les bois, question de tempérament…
Si mon clavier n’a guère été avare sur les frênes, les pommiers et les hêtres, je m’aperçois qu’il a dit si peu sur les ormes, ceux-là tombés dans l’oubli car exterminés par la faute d’une maladie fatale il y a un demi-siècle ! Je ne vais pas me livrer ici à un exposé savant sur la graphiose venue d’Asie, transmise d’arbre en arbre par un insecte : Wikipédia vous dira cent fois mieux que le piètre scientifique que je suis !
On nous affirme, comment ne pas le croire, qu’en 1552 le roi Henri II avait demandé qu’on plante des arbres à travers le royaume, en priorité des ormes « pour les besoins de chacun et pour les affûts et remontage de l’artillerie ». L’espèce était réputée pour sa longévité, son adaptation à des climats variés et tout autant la qualité de son bois, dur comme chêne, résistant à la pourriture quand on le plongeait dans l’eau.
Les pilotis qui soutiennent Venise sont constitués de sa texture, comme l’étaient chez nous les moyeux de transmission des moulins à eau. Au Moyen Age, l’orme trônait sur les places occitanes et sous son feuillage dru s’enflammaient les palabres villageoises ; il était recherché pour les ouvrages d’envergure, coques des navires à voile et charpentes des cathédrales. En des biais alternatifs et de toute époque, quand on ne le jetait pas au feu pour les inlassables besoins des foyers en chauffage et cuisson, l’arbre était célébré à la fois par les charrons, les fabricants d’instruments de musique, les menuisiers et les ébénistes. De façon plus prosaïque, en nos siècles rapprochés, son bois partait sous forme de traverses le long des chemins de fer. Autre façon d’appréhender sa gloire, la fréquence sur le territoire du patronyme Delorme, issu d’une flagrante racine.
Dans les parcs, en bordure des avenues, au long des axes de communication ou insérés dans les haies vives des vastes campagnes, les ormes exhibaient leur magnificence. Á Paris, avant leur maladie funeste, ils étaient les arbres les plus répandus, devançant les platanes. Sur les talus de routes dénuées de goudron, leurs branchages touffus réduisaient la diffusion des nuages de poussières et, par grande chaleur, ils faisaient offrande de leur ombre fraiche et épaisse à la nuée des marcheurs et des cavaliers, parmi lesquels les soldats… Napoléon, qui tenait à récupérer sur ses champs de bataille des combattants point trop harassés, louait la chape protectrice que formaient leurs alignements.
Ormes et hommes : à l’égal ou mieux que les tilleuls, les premiers aimaient à accompagner les destinées des seconds au-devant de leurs habitats paysans… En termes phonétiques, qui peut nier l’évident cousinage, la criante fraternité ?
L’un, beau spécimen, avait été donné à ma mère par sa propre mère, la Célestine, dans le but d’accroitre sa dot. Le buffet qui officiait en notre « cuisine », façonné par les mains habiles d’un Alfred Bony dont hélas l’atelier commençait à péricliter, était constitué de ses fibres dorées finement hachurées de striures rougeâtres.
Quatre représentants de l’espèce disparue trônaient devant la porte d’entrée de mes grands-parents. Philomène, derrière sa croisée, n’avait de cesse de se plaindre en sa vieillesse frileuse du voile cafardeux qu’ils projetaient, hormis peut-être aux zéniths des soleils d’été. Plantés lors de la construction du bâtiment, un temps d’avant les lignes de frênes impérieux qui de nos jours déploient leurs bras tentaculaires, ils comptaient une quarantaine d’années quand mon père, tout petit, attendait sous leur ombre le retour des foins de ses parents. Il montrait aux passants sur le chemin un nid de pies placé au sommet des ramures et, très bavard, leur faisait part que les oisillons, une fois forcis, ils allaient les manger !
Aux environs des années 70, je m’accuse de n’avoir pas retenu la date précise, les feuilles de ces braves s’étaient étiolées puis desséchées. Mon père, de mauvaise grâce, avait lancé la pétarade de sa tronçonneuse… La mémé, hélas, de par son âge avancé, n’avait pu profiter longtemps en sa demeure de l’explosion d’une clarté nouvelle ! Aimé avait ensuite remplacé les sacrifiés par de jeunes bouleaux à croissance lente déterrés en allant sur Fanostre, là où il s’en allait quérir des branches fines pour composer ses balais d’étable lors des relâches, durant les calmes après-midi de dimanches d’hiver.
En bord de route, juste en-dessous du corps de ferme, il y en avait un autre orme, et c’est celui dont je me souviens le mieux : un bourru, un grognard, fissuré de l’écorce, boursouflé de partout avec un ordonnancement anarchique en ses hautes branches. Il nous revient comme ça des petits riens : la Marie de chez la Ragade s’en retournait trotte-menu à son logis et moi, plus par sauvagerie que par jeu, je tournais autour du tronc au fur et à mesure qu’elle avançait… Elle m’avait vu bien sûr, et j’en étais resté tout penaud !
Cet orme, à ses pieds, il en avait vu passer des bipèdes, des quadrupèdes et des roues d’attelage ! Quand la motorisation était arrivée, il avait déjà son allure de lutteur de foire, bien planté sur ses appuis éléphantesques… Il se félicitait, je l’imagine ainsi, qu’aucune voiture ne soit venue l’embrasser violemment, au péril de la vie du conducteur : beaucoup de ses frères, placés bon gré mal gré en des points de malédiction routière, ne pouvaient revendiquer pareille innocence !
Les ormes se sont éteints, et cela n’a engendré ni grand battage de langues ni vif déploiement de commentaires sur le pays ! Si le frêne, à présent sous menace de chalarose, devait subir un sort comparable, ce serait le cœur de vie végétale de l’Artense qui cesserait de battre, son emblème qui s’effacerait du paysage ! Pour le coup, on peut supposer que cela créerait quelque émoi…
Si mon clavier n’a guère été avare sur les frênes, les pommiers et les hêtres, je m’aperçois qu’il a dit si peu sur les ormes, ceux-là tombés dans l’oubli car exterminés par la faute d’une maladie fatale il y a un demi-siècle ! Je ne vais pas me livrer ici à un exposé savant sur la graphiose venue d’Asie, transmise d’arbre en arbre par un insecte : Wikipédia vous dira cent fois mieux que le piètre scientifique que je suis !
On nous affirme, comment ne pas le croire, qu’en 1552 le roi Henri II avait demandé qu’on plante des arbres à travers le royaume, en priorité des ormes « pour les besoins de chacun et pour les affûts et remontage de l’artillerie ». L’espèce était réputée pour sa longévité, son adaptation à des climats variés et tout autant la qualité de son bois, dur comme chêne, résistant à la pourriture quand on le plongeait dans l’eau.
Les pilotis qui soutiennent Venise sont constitués de sa texture, comme l’étaient chez nous les moyeux de transmission des moulins à eau. Au Moyen Age, l’orme trônait sur les places occitanes et sous son feuillage dru s’enflammaient les palabres villageoises ; il était recherché pour les ouvrages d’envergure, coques des navires à voile et charpentes des cathédrales. En des biais alternatifs et de toute époque, quand on ne le jetait pas au feu pour les inlassables besoins des foyers en chauffage et cuisson, l’arbre était célébré à la fois par les charrons, les fabricants d’instruments de musique, les menuisiers et les ébénistes. De façon plus prosaïque, en nos siècles rapprochés, son bois partait sous forme de traverses le long des chemins de fer. Autre façon d’appréhender sa gloire, la fréquence sur le territoire du patronyme Delorme, issu d’une flagrante racine.
Dans les parcs, en bordure des avenues, au long des axes de communication ou insérés dans les haies vives des vastes campagnes, les ormes exhibaient leur magnificence. Á Paris, avant leur maladie funeste, ils étaient les arbres les plus répandus, devançant les platanes. Sur les talus de routes dénuées de goudron, leurs branchages touffus réduisaient la diffusion des nuages de poussières et, par grande chaleur, ils faisaient offrande de leur ombre fraiche et épaisse à la nuée des marcheurs et des cavaliers, parmi lesquels les soldats… Napoléon, qui tenait à récupérer sur ses champs de bataille des combattants point trop harassés, louait la chape protectrice que formaient leurs alignements.
Ormes et hommes : à l’égal ou mieux que les tilleuls, les premiers aimaient à accompagner les destinées des seconds au-devant de leurs habitats paysans… En termes phonétiques, qui peut nier l’évident cousinage, la criante fraternité ?
L’un, beau spécimen, avait été donné à ma mère par sa propre mère, la Célestine, dans le but d’accroitre sa dot. Le buffet qui officiait en notre « cuisine », façonné par les mains habiles d’un Alfred Bony dont hélas l’atelier commençait à péricliter, était constitué de ses fibres dorées finement hachurées de striures rougeâtres.
Quatre représentants de l’espèce disparue trônaient devant la porte d’entrée de mes grands-parents. Philomène, derrière sa croisée, n’avait de cesse de se plaindre en sa vieillesse frileuse du voile cafardeux qu’ils projetaient, hormis peut-être aux zéniths des soleils d’été. Plantés lors de la construction du bâtiment, un temps d’avant les lignes de frênes impérieux qui de nos jours déploient leurs bras tentaculaires, ils comptaient une quarantaine d’années quand mon père, tout petit, attendait sous leur ombre le retour des foins de ses parents. Il montrait aux passants sur le chemin un nid de pies placé au sommet des ramures et, très bavard, leur faisait part que les oisillons, une fois forcis, ils allaient les manger !
Aux environs des années 70, je m’accuse de n’avoir pas retenu la date précise, les feuilles de ces braves s’étaient étiolées puis desséchées. Mon père, de mauvaise grâce, avait lancé la pétarade de sa tronçonneuse… La mémé, hélas, de par son âge avancé, n’avait pu profiter longtemps en sa demeure de l’explosion d’une clarté nouvelle ! Aimé avait ensuite remplacé les sacrifiés par de jeunes bouleaux à croissance lente déterrés en allant sur Fanostre, là où il s’en allait quérir des branches fines pour composer ses balais d’étable lors des relâches, durant les calmes après-midi de dimanches d’hiver.
En bord de route, juste en-dessous du corps de ferme, il y en avait un autre orme, et c’est celui dont je me souviens le mieux : un bourru, un grognard, fissuré de l’écorce, boursouflé de partout avec un ordonnancement anarchique en ses hautes branches. Il nous revient comme ça des petits riens : la Marie de chez la Ragade s’en retournait trotte-menu à son logis et moi, plus par sauvagerie que par jeu, je tournais autour du tronc au fur et à mesure qu’elle avançait… Elle m’avait vu bien sûr, et j’en étais resté tout penaud !
Cet orme, à ses pieds, il en avait vu passer des bipèdes, des quadrupèdes et des roues d’attelage ! Quand la motorisation était arrivée, il avait déjà son allure de lutteur de foire, bien planté sur ses appuis éléphantesques… Il se félicitait, je l’imagine ainsi, qu’aucune voiture ne soit venue l’embrasser violemment, au péril de la vie du conducteur : beaucoup de ses frères, placés bon gré mal gré en des points de malédiction routière, ne pouvaient revendiquer pareille innocence !
Les ormes se sont éteints, et cela n’a engendré ni grand battage de langues ni vif déploiement de commentaires sur le pays ! Si le frêne, à présent sous menace de chalarose, devait subir un sort comparable, ce serait le cœur de vie végétale de l’Artense qui cesserait de battre, son emblème qui s’effacerait du paysage ! Pour le coup, on peut supposer que cela créerait quelque émoi…