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22. Dire l'Artense, sa géographie et ses hommes


Par Jean Pierre Rozier, ethnologue de la ruralité

22. Dire l'Artense, sa géographie et ses hommes
Artense, cela tinte joliment à l’oreille ! J’en use et j’en abuse dans les titres de mes bouquins, itou dans mes embardées poétiques, la rime est si copieuse… « J’aime à penser que là toute chose y fait sens / qu’un fil métaphysique y tend une présence / qu’un art plutôt rugueux en souligne l’intense ». L’Artense est « région naturelle », un concept séduisant : on a en principe sous ses pieds et à ses yeux un territoire homogène, à l’opposé des entités administratives issues de découpes arbitraires. Il y aurait pour socle linguistique le vocable celtique « artinca » :  l’Artense serait le pays des ours, on ne discute pas !  

Cette chère Artense se trouve encerclée par les Combrailles, les Monts Dore, le Cézallier, les monts du Cantal et le Limousin, ceci en tournant comme le font les aiguilles de l’horloge. La Dordogne, qui accomplit un arc de belle envergure, joint son bras à celui de la Rhue pour lui prendre affectueusement la taille. Côtés nord, ouest et sud donc, les frontières sont sans bavures, hormis pour la commune de Saint-Sauves qui a l’idée saugrenue d’étaler une partie de ses domaines en rive droite de Dordogne. Côté est-sud-est, en revanche, Chastreix, Picherande, Saint-Genès-Champespe, voire le Montboudif d’un Georges sourcils embroussaillés, sont en balance avec massif du Sancy et Cézallier…

Notre Artense, elle regroupe une bonne quinzaine de communes, celles-ci disséminées sur trois cantons de gloire évanouie : Tauves et La Tour dans le Puy-de-Dôme ainsi que Champs-sur-Tarentaine-Marchal dans le Cantal, soit 7000 à 8000 citoyens. Eh oui, elle se déploie sur deux départements, mais force est de reconnaître que, tant du point de vue superficie que population, elle s’incline davantage vers la cuvette clermontoise que vers le bassin d’Aurillac !  
 
L’Artense incarne une notion plutôt neuve. Ă nos âges tendres, l’appellation ne courtisait guère nos oreilles. On était rattaché à des piquets solides : la commune, le canton, l’arrondissement, le département, et par-dessus la mère patrie... La région Auvergne (alors si peu d’affinités avec le Rhône !), forcément on connaissait, mais elle avait si peu de pouvoirs… L’Europe pour sa part n’en était qu’à ses balbutiements en son berceau bruxellois… Enfin les communautés de communes, fluctuantes sur les ans de composition comme de nom, n’avaient pas vu le jour !

Ces com-com, prégnantes aux titres économique et culturel, mais identifiées avec distance par les résidents, ont du moins permis de donner popularité à la petite région, même si elle se doit de partager les couvertures dans les lits : « Dômes, Sancy, Artense », qui court allègrement du pied du Puy-de-Dôme aux portes de Lanobre par chez nous et « Sumène-Artense » dans le Cantal. Côté tourisme enfin, si « Auvergne VolcanSancy » chevauche le corps de la com-com, le Parc Naturel des Volcans allonge ses abattis bien au-delà. L’empilement des couches n’est pas un mythe : je me félicite toutefois, chers internautes de village planétaire, que vous teniez la corde fermement sans avoir à avancer la main vers le tube d’aspirine !  

Le géographe Philippe Arbos et l’écrivain Léon Gerbe ont grandement contribué à réveiller dans les années trente l’identité de l’Artense. Le premier insistait sur le penchant querelleur des autochtones, la fréquence des ovins sur des pacages indécis où fougères et genêts le disputaient à l’herbe et les migrations saisonnières. Le second, dans le style fleuri du sage d’Ambert à barbe blanche, Pourrat l’inévitable, en avait tiré une fresque vigoureuse : « des charreires raboteuses bordées de murs de pierres sèches, de frênes et de noyers, conduisent de loin en loin à des hameaux en basalte grossièrement crépis à la chaux dont les toits de chaume sont de la couleur des vieilles mousses… Pressées entre des forêts dantesques, les landes se déroulent dans un décor d’abîmes, de cavernes, de rocs, d’eaux écumantes… ». 

Soyons clairs, l’Artense de Gerbe était de souche cantalouse, elle hantait mystères et énigmes des sentes forestières, frayait au cœur du lac ensorcelant de La Crégut : notre homme n’avait-il pas ses attaches à Embort ? Vers Champs, l’altitude se fait timide, les toits se colorient de rouge et, dans leurs façons, les hommes se tournent résolument vers l’Occitanie. 

J’avais embrayé ma chronique sur l’unité des petites régions de tradition et me voici maintenant à faire un laïus sur les disparités, genre « Artense, terre de contrastes » ! Se sortir du piège… Les contrastes partout s’exposent, jusqu’à l’aire resserrée d’une même commune : un maillage éthéré de bois et d’herbages, de vallées et de plateaux, d’humus gras et d’étendues caillouteuses, avec à l’infini le flottement des entre deux… 

Le dénominateur commun à l’Artense ? Ses eaux généreuses qui se déversent toutes dans la Dordogne, manière de confirmer une emprise étagée sur un pan de Sancy au regard projeté vers Gironde et immensités atlantiques… Si l’on devait choisir des lieux représentatifs, l’on opterait en son épicentre pour les paysages de Bagnols et Cros, symboles d’indescriptibles chaos glaciaires recouverts sur les siècles par le travail de fourmis d’une paysannerie acharnée. 

Ne trouverait-on pas avantage, à l’attention des étrangers au pays, à définir l’Artense en creux, par ce qu’elle n’est pas ? « Si, par la pensée, vous vous voyez flâner, en ample bermuda, chaussé de tongs titubantes, sur des pistes d’oliviers enivrés de cigales et de lavande, ne flânez pas chez nous... Si vous comptez croiser à l’heure du pastis, des brochettes de petits vieux alignés sur des bancs lustrés, sous l’ombre de murs de briques coiffés de tuiles délavées au mistral, ne croisez pas chez nous… Si vous souhaitez qu’un gars du coin vous invite dans le frais de sa cave à goûter ses meilleurs crus, emportez-vous au loin… ». 

L’Artense est pays d’eau, de bouses, de pierres, d’arbres, d’herbe, de lait, de fromages ; elle se laisse apprivoiser par qui la mérite. Et si ses habitants n’ont pas l’aisance des chargés de com des cités, ils ne sont pas girouettes vouées aux vents futiles… L’Artense, une montagne à juste échelle, sans les vertiges, les ombres et les étouffements des Alpes ou des Pyrénées : des hauteurs de tempérance idéales pour vos poumons, votre cœur, vos artères, aussi pour les élans de vos pensées !   

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