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2. Les agriculteurs et les autres

Chronique de Jean Pierre RoZier tirée du volume III des chroniques d'Artense ("Artense toujours, les ans et les saisons") sous le titre "Clivage en campagne";

Résumé : Les agriculteurs, s'ils gardent la maîtrise de l'entretien de l'espace des campagnes, sont de moins en moins nombreux. Dans les villages, s'installe peu à peu une population nouvelle qui trouve son mot à dire au titre des conditions d'exploitation agricole et des paysages... Des conflits peuvent surgir à tout moment


2. Les agriculteurs et les autres
Les paysans d’un côté, les non-paysans de l’autre : en notre ruralité, cette séparation semblait naturelle. Enfant, j’appartenais sans conteste au premier groupe ; j’en possédais le langage, les manières et les complexes ! Les cultivateurs tramaient l’ouvrage routinier des hameaux, en incarnaient l’âme vive, en osmose avec la nature, le ciel, les animaux… La population en rapport avec les métiers alternatifs, en général plus cultivée, plus à l’aise de comportement et de portefeuille, se concentrait dans le giron des bourgs, ne fréquentant qu’en des occasions obligées les chemins vicinaux boueux et bouseux. Cloisonnement oui, mais absence d’affrontements : à chaque catégorie des préoccupations et des intérêts en propre, des chasses gardées sur des zones délimitées. Pas de chevauchement ni de concurrence ! 

     Le tableau sociologique a changé ainsi que les rapports de force. La tribu paysanne se réduit comme peau de chagrin alors que les professions autres tirent la ficelle et colonisent peu à peu les bâtiments de fermes à l’abandon sur la couronne des villages. Les bourgs en pâtissent : on cite certains hameaux qui, en termes d’activité, n’ont guère à envier aux chefs-lieux auxquels ils sont rattachés, ainsi Fouroux pour Larodde… En force, un cadre inédit se met en place : d’une part des paysans raréfiés qui, par la force des choses, conservent l’entretien de l’espace, mais ne détiennent plus le monopole villageois concernant l’habitat, d’autre part une population nouvelle, qu’elle soit active, retraitée, résidente secondaire ou touristique, issue de milieux variés, qui étend sa sphère d’influence sur le panorama des  campagnes et cherche à mettre son nez fureteur, teinté d’écologie et d’économie durable, dans la qualité souhaitée des paysages… Cette sociologie reconfigurée a brouillé les pistes validées par le passé, a redistribué les rôles ; elle est la cause d’inévitables conflits. Il faut désormais cohabiter : les paysans doivent composer afin de gérer sur des bases dites environnementales des terres sur lesquelles ils avaient jusque-là une mainmise que personne n’avait l’idée de leur contester. 

     Trêve de théories d’université, du concret, que diable ! Eh bien, le remembrement récemment organisé sur Tauves nous fournit un bel exemple de conflit susceptible de polluer l’ambiance d’un territoire. Ce remembrement semblait bien engagé, plutôt écologiquement responsable en regard de pratiques antérieures dévastatrices, et assez consensuel vu des pas de porte des agriculteurs propriétaires : des recours administratifs ne dépassant pas en quantité les doigts d’une main…. Ả ces titres, rien à voir avec le remembrement de Saint-Sauves, vieux d’un demi-siècle : il m’a été donné de conter les séismes que celui-ci avait occasionnés à Méjanesse, les ravages paysagers et la guerre ouverte entre paysans !

     Tout se serait passé dans les règles si un caillou pernicieux n’était venu semer la zizanie. Ce caillou, c’était le choix fait par le maire et sa municipalité de céder aux agriculteurs riverains 45 kilomètres de chemins communaux, ceux-ci revêtus d’herbe ou de terre battue. Levée de bouclier assez légitime d’une partie de population attachée au patrimoine ! Il fallait à tout prix couper court à la destruction de ces charreires endormies sur les cendres sacrées des ancêtres, un capital majeur pour les randonneurs, notamment pour une localité cherchant à mettre en avant sa verte vocation touristique. Création d’une association, chemins et patrimoine tauvois, avec un porte-drapeau, Roger Boyer, ancien agent d’assurance, des pétitions, des recours administratifs, et aucune avancée au bout du compte, si ce n’est la sanctuarisation d’une portion de chemin faisant la part belle à une petite fleur jaune protégée, la gagea lutea, au final assez courante, qui y a gagné un prestige inattendu et soudain… Je dis vite ; la plupart de mes lecteurs savent mieux que moi les détours de l’affaire, les conflits d’intérêt, le front des éleveurs de vaches Salers ou autres mis au banc des accusés, les menaces physiques ne dépassant toutefois pas des moulinets brassant le vent sur l’herbe des pâtures, et l’arrière-fond au goût de sournoise politique ! La Galipote, revue locale poil-à-gratter hors consensus, tendance Canard enchainé, a consacré à cette guéguerre civile cinq pages copieusement nourries.   

     Les péripéties houleuses qu’a connues Tauves sont en mesure de se mettre en branle n’importe où : un élément déclencheur et hop, le feu aux poudres ! C’est ainsi, au-delà de modes de vie divergents, les deux parties en jeu affichent des approches difficilement conciliables. Clivage, le mot fatal est lâché ! Clivage entre ceux pour qui la terre est un instrument de travail et ceux qui s’adonnent à la randonnée, entre ceux qui, montés sur leurs tracteurs surpuissants, cherchent à rejoindre au mieux leurs près et ceux qui ont tout loisir d’admirer les chemins étroits corsetés de murets en pierres sèches, bref entre les rustres réalistes en bottes de caoutchouc et les rêveurs délicats en Quechua de marche… 

     Dans l’histoire, Noalhat et Noalhaguet, les hameaux emblématiques des litiges, ont connu leur heure de gloire. Puissiez-vous en ces parages emprunter les chemins survivants qui, et combien on le regrette, ne connaissent guère que la fréquentation de chats à la recherche du mulot !       

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