Par Jean Pierre Rozier, ethnologue de la ruralité
Le centième anniversaire de la fin de la grande-guerre a permis de raviver une mémoire qui s’effilochait... Á Bagnols et Larodde, des associations liées au patrimoine ont édité des fascicules où chaque poilu décédé des suites des combats bénéficie de sa propre page : date et lieu de naissance, numéro de matricule, statut familial et professionnel, circonstances du décès, citations militaires, lieu d’inhumation et, dans la mesure du possible, parenté actuelle... Aucun de ces braves n’aurait pu imaginer avoir droit un jour, en complément de son nom sur la pierre des monuments, à un tel hommage sur papier blanc !
Sont aussi dénombrés, par village, les combattants revenus à la vie civile, ceux-là sortis vivants de l’enfer, mais souvent meurtris dans leur corps, gueules cassées, poumons gazés, membres en souffrance, et tout autant fragilisés dans leur âme avec, pour tenter d’amadouer le mal-être, un goût affirmé pour vin et tabac… Les démarches entreprises pour l’érection des monuments aux morts au début des années vingt ne sont pas oubliées : dons des familles, choix des architectes, des sculpteurs et des maçons, devis, financement et factures. Enfin, des lettres reçues du front viennent apporter un souffle émotionnel à cette vue d’ensemble.
Allons-y pour une synthèse des données que livrets militaires, sites historiques spécialisés, registres d’état civil et mémoire vive des hommes ont permis de réunir. 109 victimes de la folie guerrière à Bagnols et 62 à Larodde : plus d’un soldat sur quatre, environ un habitant sur quinze ! Des taux similaires sont constatés sur Cros ainsi que sur les communes d’alentour porteuses d’une sociologie analogue.
Tout néophyte pourra en être surpris : certains noms, abstraction faite des listes annexes de commémoration dans les églises, les nécropoles et les carrés militaires, se trouvent inscrits sur plusieurs monuments aux morts. Pour l’exemple, Sauvat Guillaume, né au hameau d’Aulnat-Soubre (Bagnols), époux de Marion Françoise de La Tour et maçon exerçant son activité à Clermont. Hormis en lettres rouges à Bagnols, son nom apparait sur les monuments de La Tour, Saint-Pardoux et Clermont. Une mort revendiquée à la fois par sa commune de naissance, celle où il avait pris épouse (ici cas particulier de La Tour avec doublon Saint-Pardoux) et celle où il habitait.
Les débuts du conflit, sous la houlette de gradés cyniques, cruels à dire vrai, furent un désastre : plus du quart des décès centrés sur les cinq premiers mois de guerre, d’août à décembre 1914 ! Le premier tombé au feu : Montel François, né sur Bagnols, mais qui habitait à Marcenat dans le Cantal, emporté dès le 14 août 1914 sur le front de Meurthe-et-Moselle. Á l’autre bout, un groupe de décès survenus après arrêt du conflit, ainsi Bapt Jacques dont la fin s’est manifestée à Jargeau dans le Loiret en 1921, suite à des blessures remontant à 1916.
Au chapitre des métiers, qui va s’en étonner, arrivent loin devant les cultivateurs - agriculteurs, ce groupe intégrant les journaliers et les vachers ! Du lugubre défilé, on ressort ensuite, Bagnols et Larodde réunis, cinq garçons d’hôtel, quatre caoutchoutiers (Michelin, Bergougnan), trois chiffonniers, deux instituteurs, deux maréchaux-ferrant, deux maçons, deux employés dont l’un aux tramways de Marseille, un ramoneur, un mécanicien, un menuisier, un charpentier, un plâtrier, un forgeron, un chaudronnier, un marchand de vin, un négociant en liqueurs, un étameur, un rémouleur, un cocher et un congréganiste : des activités exercées sur place ou en divers lieux de France.
Les appelés, à l’échelle nationale, étaient nés entre 1868 et 1899, soit l’étendue considérable de 32 classes d’âge, sachant que les plus anciens étaient en règle général ménagés en arrière des tranchées. Le fantassin Rozier Antoine du Chastel (Larodde) qui, d’un lien génétique venu du tréfonds des siècles m’est probablement apparenté, n’avait pas bénéficié de ces faveurs : né en 1871, mort sur le front à 45 ans bien sonnés ! Á l’opposé, on s’arrête sur Montel Maurice né au hameau d’Epinasse (Bagnols) et emporté à l’aube de ses 20 ans, dans l’année ayant suivi l’armistice, des suites d’une maladie contractée à Cracovie.
Malgré un sujet ne se prêtant guère aux futilités, quelques considérations sur les particularités physiques des valeureux : leurs tailles, leurs couleurs d’yeux et de cheveux…
On le sait, ceux de 14-18 ne pouvaient guère se prévaloir de hautes statures : près des deux-tiers présentaient moins de 1 mètre 65 sous la toise au conseil de révision, sachant il est vrai que beaucoup d’entre eux, du fait d’une croissance retardée, étaient en mesure de grignoter encore quelques centimètres.
Ratail Joseph qui portait bien son nom, ne dépassait pas 1 mètre 48. Né à Hussamat, sur les terres de Chastreix, il était chiffonnier à Tours lors du déclenchement des hostilités après avoir habité Bagnols lors de la conscription : le 25 septembre 1915, à Neuville-Saint-Vaast dans le Pas-de-Calais, une partie de son régiment, des grands et des petits et lui dans le lot, avait été engloutie sous les amas de terre qu’avaient fait gicler les obus… Avec son mètre 81, Méchin Antoine faisait pour sa part figure de géant. Né sur Saint-Sauves, de passage un temps à Bagnols, il avait ensuite hissé son éminente silhouette au gouvernail d’un fiacre : cocher au Mont-Dore. Mort des suite d’une « affection contractée en service » de signification floue, il jouit d’une tombe individuelle à sa mesure au carré militaire de Provins.
Gaulois et Celtes, par-delà les siècles, transmettaient encore des résurgences : les victimes avaient offert aux agents recruteurs des regards étagés pour moitié sur la palette allant du bleu au gris. En parallèle, les chevelures tirant sur le blond et le châtain-clair l’emportaient à l’aise. Depuis, les générations se sont enchainées et nul doute que, dans la population actuelle, azur et pâleur, par nature récessifs, ont lâché du terrain face au marron et au brun de méditerranéenne obédience.
Permettez-moi : arrêtez votre marche au pied des monuments aux morts, posez vos regards plus d’un instant ! Respect ému à tous ces poilus : plutôt courtauds avec des regards diaphanes, issus de couches déshéritées, obéissants par humilité et conditionnés à la fois par l’armée, la société civile, les enseignants et la religion pour un inutile sacrifice…
Sont aussi dénombrés, par village, les combattants revenus à la vie civile, ceux-là sortis vivants de l’enfer, mais souvent meurtris dans leur corps, gueules cassées, poumons gazés, membres en souffrance, et tout autant fragilisés dans leur âme avec, pour tenter d’amadouer le mal-être, un goût affirmé pour vin et tabac… Les démarches entreprises pour l’érection des monuments aux morts au début des années vingt ne sont pas oubliées : dons des familles, choix des architectes, des sculpteurs et des maçons, devis, financement et factures. Enfin, des lettres reçues du front viennent apporter un souffle émotionnel à cette vue d’ensemble.
Allons-y pour une synthèse des données que livrets militaires, sites historiques spécialisés, registres d’état civil et mémoire vive des hommes ont permis de réunir. 109 victimes de la folie guerrière à Bagnols et 62 à Larodde : plus d’un soldat sur quatre, environ un habitant sur quinze ! Des taux similaires sont constatés sur Cros ainsi que sur les communes d’alentour porteuses d’une sociologie analogue.
Tout néophyte pourra en être surpris : certains noms, abstraction faite des listes annexes de commémoration dans les églises, les nécropoles et les carrés militaires, se trouvent inscrits sur plusieurs monuments aux morts. Pour l’exemple, Sauvat Guillaume, né au hameau d’Aulnat-Soubre (Bagnols), époux de Marion Françoise de La Tour et maçon exerçant son activité à Clermont. Hormis en lettres rouges à Bagnols, son nom apparait sur les monuments de La Tour, Saint-Pardoux et Clermont. Une mort revendiquée à la fois par sa commune de naissance, celle où il avait pris épouse (ici cas particulier de La Tour avec doublon Saint-Pardoux) et celle où il habitait.
Les débuts du conflit, sous la houlette de gradés cyniques, cruels à dire vrai, furent un désastre : plus du quart des décès centrés sur les cinq premiers mois de guerre, d’août à décembre 1914 ! Le premier tombé au feu : Montel François, né sur Bagnols, mais qui habitait à Marcenat dans le Cantal, emporté dès le 14 août 1914 sur le front de Meurthe-et-Moselle. Á l’autre bout, un groupe de décès survenus après arrêt du conflit, ainsi Bapt Jacques dont la fin s’est manifestée à Jargeau dans le Loiret en 1921, suite à des blessures remontant à 1916.
Au chapitre des métiers, qui va s’en étonner, arrivent loin devant les cultivateurs - agriculteurs, ce groupe intégrant les journaliers et les vachers ! Du lugubre défilé, on ressort ensuite, Bagnols et Larodde réunis, cinq garçons d’hôtel, quatre caoutchoutiers (Michelin, Bergougnan), trois chiffonniers, deux instituteurs, deux maréchaux-ferrant, deux maçons, deux employés dont l’un aux tramways de Marseille, un ramoneur, un mécanicien, un menuisier, un charpentier, un plâtrier, un forgeron, un chaudronnier, un marchand de vin, un négociant en liqueurs, un étameur, un rémouleur, un cocher et un congréganiste : des activités exercées sur place ou en divers lieux de France.
Les appelés, à l’échelle nationale, étaient nés entre 1868 et 1899, soit l’étendue considérable de 32 classes d’âge, sachant que les plus anciens étaient en règle général ménagés en arrière des tranchées. Le fantassin Rozier Antoine du Chastel (Larodde) qui, d’un lien génétique venu du tréfonds des siècles m’est probablement apparenté, n’avait pas bénéficié de ces faveurs : né en 1871, mort sur le front à 45 ans bien sonnés ! Á l’opposé, on s’arrête sur Montel Maurice né au hameau d’Epinasse (Bagnols) et emporté à l’aube de ses 20 ans, dans l’année ayant suivi l’armistice, des suites d’une maladie contractée à Cracovie.
Malgré un sujet ne se prêtant guère aux futilités, quelques considérations sur les particularités physiques des valeureux : leurs tailles, leurs couleurs d’yeux et de cheveux…
On le sait, ceux de 14-18 ne pouvaient guère se prévaloir de hautes statures : près des deux-tiers présentaient moins de 1 mètre 65 sous la toise au conseil de révision, sachant il est vrai que beaucoup d’entre eux, du fait d’une croissance retardée, étaient en mesure de grignoter encore quelques centimètres.
Ratail Joseph qui portait bien son nom, ne dépassait pas 1 mètre 48. Né à Hussamat, sur les terres de Chastreix, il était chiffonnier à Tours lors du déclenchement des hostilités après avoir habité Bagnols lors de la conscription : le 25 septembre 1915, à Neuville-Saint-Vaast dans le Pas-de-Calais, une partie de son régiment, des grands et des petits et lui dans le lot, avait été engloutie sous les amas de terre qu’avaient fait gicler les obus… Avec son mètre 81, Méchin Antoine faisait pour sa part figure de géant. Né sur Saint-Sauves, de passage un temps à Bagnols, il avait ensuite hissé son éminente silhouette au gouvernail d’un fiacre : cocher au Mont-Dore. Mort des suite d’une « affection contractée en service » de signification floue, il jouit d’une tombe individuelle à sa mesure au carré militaire de Provins.
Gaulois et Celtes, par-delà les siècles, transmettaient encore des résurgences : les victimes avaient offert aux agents recruteurs des regards étagés pour moitié sur la palette allant du bleu au gris. En parallèle, les chevelures tirant sur le blond et le châtain-clair l’emportaient à l’aise. Depuis, les générations se sont enchainées et nul doute que, dans la population actuelle, azur et pâleur, par nature récessifs, ont lâché du terrain face au marron et au brun de méditerranéenne obédience.
Permettez-moi : arrêtez votre marche au pied des monuments aux morts, posez vos regards plus d’un instant ! Respect ému à tous ces poilus : plutôt courtauds avec des regards diaphanes, issus de couches déshéritées, obéissants par humilité et conditionnés à la fois par l’armée, la société civile, les enseignants et la religion pour un inutile sacrifice…