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17. Quand les fêtes patronales battaient leur plein


Par Jean Pierre Rozier, ethnologue de la ruralité

17. Quand les fêtes patronales battaient leur plein
J’étais tout petiot : en cette matinée de fête de la Saint-Jean à Saint-Sauves, le pompon du manège trouvait gentil de s’abaisser juste devant moi à chaque passage. Il suffisait de tendre la main pour gagner des tours gratuits ; mais non, je refusais de le saisir ainsi, aux yeux de tous ! Ma mère, sur le gravier de la place, au milieu d’une brochette de mamans endimanchées, manifestait son dépit par des gestes nerveux ! Des aubaines ainsi gâchées…

Ă un stand de loterie, à la fête de la Sainte-Croix à Tauves, mon père avait eu un ticket gagnant à la sortie de la messe. Son lot : une poule blanche tirée d’une cage. Rapatriée à la ferme, molle et grasse, elle avait eu du mal à s’adapter à la robuste vélocité des consœurs. Victime toute désignée pour les prédateurs divers, elle disparut au bout d’une quinzaine. Malfaisance du malin goupil, d’une belette ? Ma mère attribua plus sûrement cette évaporation à une renarde de sa connaissance, une renarde à deux pattes. Paix aux cendres de la pauvresse !  

Souvenirs extirpés du puits… Ă ces fêtes patronales, la population entière se bousculait, hormis peut-être les nourrissons, les ermites et les paralytiques ! Les places des bourgs débordaient de baraques foraines ; les cafés regorgeaient de monde… On en profitait pour inviter à midi en sa maison les pans de familles proches installées sur des communes limitrophes. 

Ă notre adolescence, avec ma sœur, on s’y rendait à vélo à ces fêtes. Ma mère nous donnait quelques francs nouveaux à dépenser au mieux.  Ă Saint-Sauves, la luxueuse remorque d’une loterie avec en sa vitrine tape-à-l’œil une profusion de gros nounours en peluche et de poupées aux vifs volants de jupes gitanes mangeait une bonne partie de la place. Le couple de bateleurs y allait de son numéro bien huilé de music-hall, registre Sacha Distel et Marcel Amont. Madame faisait rouler des formes généreuses et monsieur arborait un sourire conquérant où éclatait une dent en or ; la foule se précipitait et achetait sans lésiner des tickets dont l’un, de temps en temps, se montrait gagnant. L’heureux élu, l’heureuse élue repartait à son auto les bras chargés de ce qui rapidement allait devenir un ramasse-poussière encombrant. Nous, on profitait du spectacle sans ouvrir le porte-monnaie. 

On passait au plus vite devant les stands de tir à la carabine car là ça claquait sec, venant d’une jeunesse en bluejeans serrés et blousons ajustés en mal d’affirmation de leur virilité… On snobait les manèges, on ne prêtait guère attention aux étalages colorés de confiseries et de barbes-à-papa, voyons on n’était plus des bambins, en revanche une boule de glace… En choisir le parfum, vanille, chocolat ou pistache, avec peut-être le regret ensuite de n’avoir pas fait le meilleur choix ! On admirait les prouesses de certains aux volants de leurs auto-tamponneuses, entre figures de danse et combats gladiateurs, à l’une occupée par une fraiche lolita, juste un effleurement du bout caoutchouté, à l’autre, au gouvernail de laquelle un rival en concupiscence, un choc latéral de plein fouet ! Plantés en bord de piste, de ces arabesques, nous on ne perdait pas une miette ! 

Ma sœur, à un stand de trois fois rien, réussissait grâce à l’envergure de ses bras à encercler d’un anneau le goulot d’une bouteille de mauvais rosé ; comme çà on ne rentrerait pas bredouille à la maison… Quand le bal commençait, en somme l’apothéose, nous depuis longtemps on avait enfourché nos biclous et rejoint le bercail afin d’être dans les clous de la soupe et du dodo.  

Ă Tauves, sur le champ de foire, les organisateurs se plaisaient à introduire de la diversité. Pour une épreuve de gymkhana, Jean-Paul, de notre village, avait consenti à prêter sa mobylette à un luron de sa connaissance. Le pauvre, sa mob, il l’avait récupérée, mais salement amochée… En une certaine année, des catcheuses avaient été invitées. Pensez, les drilles du coin, joyeux ou pas, s’étaient précipités ! Au pied du ring, j’avais assisté aux corps-à-corps, ma verte libido s’en trouvant fort émoustillée en dépit de combattantes aux physiques qui ne cassaient rien et de prestations totalement bidonnées.  

Vous m’en voyez affligé : je ne vous parle que de fêtes déjà entrées dans une certaine modernité, sans lien avec les temps épiques qui occupent vos imaginaires. Pour me faire pardonner, je vous livre les réjouissances de la Saint-Sixte à Saint-Donat en un certain mois d’août des années trente : 
Réveil en fanfare, 
Défilé et dépôt d’une gerbe, 
Lâché de montgolfière, 
Grand prix cycliste, 
Course à pieds pour les enfants,
Mât de cocagne, 
Massacre de pots, 
Concours de bourrée, 
Concert sur la place, 
Retraite aux flambeaux, 
Feu d’artifice, 
Grand bal. 

Un fameux programme pour une commune au demeurant modeste, ceci sans compter les attractions foraines, voire les bonimenteurs, jusqu’aux attrape-nigauds de mamans à barbe, de femmes naines et de veaux à cinq pattes tapis sous les tentes ! La fête patronale alors portait bien son nom, le saint patron en avant et le curé dans la boucle pour sa quête miraculeuse à la grand-messe : une fête aux relents médiévaux, populaire et grouillante, où le profane et le mystique s’accordaient comme larrons. 

Les exploits sportifs de certains lascars alimentaient les causeries des veillées. Mon père nous racontait qu’à La Tour, à l’occasion de la Saint-Louis, nos voisins Guillaume de chez le laitier avaient fait sensation : Michel avait coupé la ligne en premier devançant son frère Antoine de trois longueurs. Ă Saint-Sauves, mon oncle Loulou admirait la foulée aérienne de Guy Teillot autour du parc Garenne : quasiment Jules Ladoumègue sur les Champs Elysées ! 
Comment terminer cette brève chronique sans raisonner un peu ? Dans la plupart de nos bourgades, les fêtes patronales actuelles, si elles demeurent des occasions de convivialité, ne sont plus que les ombres de ce qu’elles étaient : deux-trois forains qui se battent en duel sur les places, des concours de pétanque, des vide greniers ou quelque succédané d’animation exotique pour occuper l’espace, des haut-parleurs pour entretenir l’illusion… Les optimistes assurent qu’une multitude de distractions a pris le relais, qu’il faut laisser voguer à sa guise la barque du progrès ; les pessimistes y voient le reflet d’une société rurale dont une partie des rouages fondateurs a éclaté… Et les volontaristes, on en compte, à Cros et ailleurs, assurent qu’il convient de ranimer les flammes en faisant émerger des manières innovantes.  

 

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