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14. L’hygiène rustique de nos enfances


Par Jean-Pierre Rozier, ethnologue de la ruralité

14. L’hygiène rustique de nos enfances
De toute évidence, l’hygiène ayant cours dans notre enfance champêtre ne faisait pas l’objet de soucis de tous les instants. Par manque de temps, par défaut de nécessité sociale et, l’aurait-t-on oublié, par carence d’équipements adéquats ! L’eau courante amenée par la commune n’a coulé aux robinets des éviers du village qu’au milieu des années soixante. Et pour l’installation des WC d’intérieur et des salles de bain, il a fallu patienter un paquet de lunes supplémentaires !

Il était adossé au pignon arrière de la maison, notre cabinet d’aisance. Edifié par les mains paternelles, recouvert d’ardoises, il ne faisait pas mauvaise figure dans le paysage, ma foi. Chaque demeure était affublée de la sorte de son obligée guérite intime, appuyée à un mur, logée en fond de jardin, voire, exceptionnellement, placée à cheval sur le ruisseau à truites… Bref, on faisait selon ses goûts et les opportunités topographiques… Je me suis même laissé dire qu’en certaines fermes retirées, on n’éprouvait même pas le besoin d’un équipement spécial. L’étable en hiver, sous la queue des vaches, le petit bois en été, sous le fouillis des broussailles, accueillaient plaisamment en leurs cadres bucoliques les exercices accroupis et organiques des hommes !  

Notre cahute odorante, précédant de beaucoup les chers techniciens de Veolia Environnement, offrait aux postérieurs à soulager un siège et non un vide à la turque d’entre deux planches sommaires, comme chez les grands-parents. Elle possédait en outre une targette intérieure. De vrais attributs de modernité ! Et des pages de vieux journaux coincés derrière un linteau tentaient de suppléer aux rouleaux Lotus d’un velouté trop coûteux. Entre nous, je préférais m’emparer au vol d’une touffe d’herbes sèches au dehors, et, confidence pour confidence, il m’arrivait d’estimer l’essuyage inutile, en un jugement hâtif souvent, ce dont pouvaient témoigner mes fonds de culottes !
Je vous parle là des grosses commissions, car pour le reste, il va de soi que les garçons de la campagne trouvaient plaisant d’arroser de jets vigoureux les bases des troncs d’arbre et les fondements des murs, imitant en cela les postures viriles de leurs pères.

Pour en finir avec cet aperçu scatologique, urinaire et davantage encore anthropologique, deux questions restent à éclairer. Non, à l’exception de ma grand-mère, l’usage du pot de chambre n’entrait pas dans nos mœurs. Oui, il fallait bien se résoudre à vider de temps à autre la fosse des latrines, à la désinfecter au Crésyl… Je vois mon père se charger de la mission en égoutier efficient. Il effectuait le transbordement dans le tombereau attelé à deux vaches, à l’aide d’un outil de sa composition, utilisé aussi pour le purin de l’étable : un seau usagé accroché à l’extrémité fourchue d’un manche de bonne longueur et de solidité avérée. Et le pré n’avait qu’à se féliciter d’un engrais humain imparablement bio répandu sur son herbe gloutonne !  

La toilette maintenant. J’ai beau faire virevolter en tous sens ma boîte aux souvenirs, le chapitre sonne creux. On se lavait à l’occasion et à la diable, un point c’est tout. Sans doute, dans la cuisine, le dimanche avant d’enfiler les habits propres pour la messe, ma mère me tendait-elle une cuvette au contenu tiédi par l’eau de la bouilloire avec une serviette mince. Probable, par pièces détachées, je faisais mine d’accomplir la frileuse corvée, et cela se terminait au bas mot par de l’énervement. Vraisemblablement, le matin avant de partir à l’école, d’un gant peu ragoûtant imprégné de salive, on me débarbouillait hâtivement le museau... Et le lavage des dents nous était inconnu, il va de soi… Seule note vivante : quand le soir après les foins, collant de sueur, je prenais un bain sommaire sans quitter mes effets du haut dans le bac des vaches de chez Boivin. Le soleil du jour avait chauffé son eau stagnante. Ma sœur, les cousines m’y rejoignaient parfois. On comparait tout à loisir les styles de nos pieds, grecs ou égyptiens !

Il me faut raconter un drôle de tic, assez peu hygiénique, qui m’était tombé dessus en un certain été. Tout débute par de l’ordinaire : vous prenez un manche, de râteau, de fourche, de pelle ou de pioche, suivant le procédé du droitier honnête, la main droite positionnée en bas procurant la poigne ferme et la main gauche en haut se limitant aux rôles de stabilisateur et de levier. Cet aparté n’est pas superflu, si l’on en juge par les façons ridicules des travailleurs des champs dans les films du terroir. De temps à autre donc, vous projetez un crachat sur une paume asséchée, vous répartissez le mouillé d’un frottement des mains bref et satisfait. C’est efficace et tellement agréable ! Dans mon cas, cela devint une habitude, une addiction authentique. Je me livrais à cette auguste et salivaire gestuelle à chaque minute, y compris avec des bras au chômage technique. Seule l’entrée au lycée avait pu y mettre un terme !

Il me faut conclure… J’ai assisté en ville il y a peu à une conférence de Claude Bourguignon.  Et cet agronome, grand défenseur d’une agriculture respectueuse des lois sacrées de la nature, de nous révéler qu’une des causes majeures du déclin de la Rome antique avait été le tout-à-l’égout : on avait expédié toutes les matières fertilisantes vers la mer, cela sans compter le gaspi de la flotte… Preuve en est, on doit songer à revenir aux manières rustiques de mon enfance et aux toilettes qui savaient être sèches sans le proclamer sur les toits !
    

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